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A Paris, des jeunes filles disparaissent mystérieusement. Pendant ce temps, le docteur Génessier, un chirurgien réputé, fait des travaux sur les greffes de peau humaine : il veut utiliser cette méthode pour soigner sa fille Christiane, défigurée dans un accident de voiture.



George Franju a d'abord été connu comme un proche de Henri Langlois, avec lequel il tournera un court-métrage (Le métro (1934)) et fondera la Cinémathèque Française en 1936. Après la seconde guerre mondiale, il va se révéler un exceptionnel réalisateur de documentaires, notamment avec Le sang des bêtes (1949), splendide poème sur les abbatoirs, où il capte avec génie la face noire de Paris. Puis, il a l'opportunité de tourner son premier long-métrage, La tête contre les murs (1958), description sans concession de l'univers psychiatrique. Aussitôt après, il réalise Les yeux sans visage, sa première expérience dans le domaine de la fiction fantastique : il y reviendra ensuite avec des oeuvres à l'ambiance insolite comme Judex (1963) ou Nuits rouges (1973), tous deux dans la tradition des feuilletons cinématographiques de Louis Feuillade (Fantômas (à partir de 1913), Les vampires (à partir de 1915)...). Pour Les yeux sans visage, il bénéficie d'un casting de grande qualité, avec rien de moins que Pierre Brasseur (Les enfants du Paradis (1945) de Marcel Carné, Plein feu sur l'assassin (1961) de Franju...) et Alida Valli (Senso (1954) de Luchino Visconti, Suspiria (1977) de Dario Argento...). Edith Scob, extraordinaire dans le rôle de la jeune fille masquée, vit sa carrière marquée défavorablement par ce rôle : désormais indissociable d'un film fantastique dans un pays qui n'en produit que rarement, elle resta ensuite sous-employée, même si des réalisateurs impliqués dans le renouveau actuel du cinéma populaire français font parfois appel à elle pour des petites apparitions (Le pacte des loups (2001) de Christophe Gans, Vidocq (2001) de Pitof...).
Les yeux sans visage et le cinéma fantastique européen des années 60

Les yeux sans visage a été réalisé en 1959, alors que l'épouvante britannique devenait de plus en plus influente et rentable (avec Frankenstein s'est échappé ! (1957) de Terence Fisher, ou L'impasse aux violences (1959) de John Gilling...). Il eut un beau succès et entraîna, au cours des années 1960, la mise en chantier de projets assez semblables en Europe. Avec L'horrible secret du docteur Orloff (1962), Jesus Franco signe ce qui semble être le premier des nombreux films d'horreur de cet auteur espagnol, ainsi que sa première collaboration avec le comédien Howard Vernon (Le silence de la mer (1949) de Jean-Pierre Melville...) : l'histoire y est pratiquement la même que dans Les yeux sans visage. La rose écorchée (1969) de Claude Mullot, avec Anny Duperey et, encore, Howard Vernon, reprend ce même récit. On remarque aussi que Jesus Franco allait réaliser un remake de Les yeux sans visage avec Les prédateurs de la nuit (1987), une production assez ambitieuse et réussie, avec Helmut Berger (Ludwig (1972) de Luchino Visconti...) et Telly Salavas (la série des Kojak...).

On trouve des méchants assez semblables au docteur Génessier dans d'autres oeuvres de la même période. Ainsi, dans le film allemand La femme nue et le diable (1959) de Victor Trivias, un chirurgien surdoué rend la vie à la tête coupée de Michel Simon (L'atalante (1934) de Jean Vigo, Drôle de drame (1936) de Marcel Carné...) ! En Italie, c'est Ricardo Freda qui lance les méfaits d'un autre savant malfaisant avec L'effroyable secret du docteur Hichcock (1962) : cet éminent chercheur tente de ressuciter sa femme décédée, grâce à des expériences qui exigent, elles aussi, des cobayes humains plus ou moins consentants. Plus généralement les génies employant leur science à des fins malfaisantes refont surface à cette époque. Fritz Lang (Docteur Mabuse, le joueur (1922)...) relance les aventures de Le diabolique docteur Mabuse (1960) juste à ce moment-là, alors que ce dernier avait cessé de sévir à partir de Le testament du docteur Mabuse (1933). Enfin, en France, un autre génie du mal allait réapparaître, mais de manière assez loufoque, dans la série des Fantomas amorcée par Fantomas (1964) de André Hunnebelle avec Jean Marais et Louis De Funès. Bref, à partir de Les yeux sans visage, les savants fous et autres surdoués du mal allaient connaître une belle prospérité dans l'Europe des années 60 !



Un réalisme hérité du film noir français

Il est bien connu que la France n'a jamais, hélas, eu une tradition de cinéma d'épouvante très vivace. Mais il en est autrement pour le film noir : depuis les chef d'oeuvres de Henri-George Clouzot (L'assassin habite au 21 (1942), Quai des orfèvres (1947)...), le cinéma policier et la littérature noire ont été très prospères, avec des films de Julien Duvivier (Panique (1946) avec Michel Simon....), d'André Cayatte (Nous sommes tous des assassins (1952) avec Jean Gabin...), de Jean-Pierre Melville (Bob le flambeur (1955)...), de Jacques Becker (Touchez pas au grisbi (1953)...)... Entre un récit criminel habile et une oeuvre d'épouvante, la frontière peut parfois être bien mince, et c'est ainsi que Les diaboliques (1955), d'après un livre des français Pierre Boileau et Thomas Narcejac, et réalisé par Clouzot, est devenu un classique international du film policier et de l'épouvante. Hitchcock lui-même adaptera un roman de Boileau-Narcejac avec son célèbre thriller Sueurs froides (1958).

En 1959, c'est donc à Franju d'adapter un roman de ces deux écrivains avec Les yeux sans visage. Comme Clouzot avec Les diaboliques, mais de manière encore plus prononcée, il détournera le récit criminel vers le domaine de la poésie fantastique et de l'horreur. Toutefois, on retrouve des éléments réalistes et sordides, sans aucun rapport avec le cinéma d'épouvante gothique tel que le pratiquaient les américains (Frankenstein (1931) de James Whale...) ou les britanniques (Frankenstein s'est échappé !...). L'intrigue prend place en 1959 dans Paris et sa banlieue. L'enquête est suivie, entre l'institut médico-légal et le poste de police, par un vieil inspecteur qui tire sur sa pipe d'un air concentré, à la manière de Maigret. Les décors réalistes et embrumées rappellent des oeuvres comme Nous sommes tous des assassins, Les diaboliques ou Maigret et l'affaire du Saint-Fiacre (1959) de Jean Dellanoy : les petites départementales longent des forêts sombres et des fleuves épais, traversent des villages trop calmes et croisent des voix ferrés sous un ciel encombré de nuages. Tout cela est bien entendu transcendé par un noir et blanc magique.



Fantastique et horreur

Mais Franju parvient, comme il le faisait déjà dans ses documentaires, à détourner ce réalisme vers des tonalités insolites et poétiques, en jouant sur la bande-son par exemple (les aboiements des chiens qu'on ne voit pas, l'excellente et puissante musique de Maurice Jarre...), sur des éclairages étranges qui multiplient les ombres et les degrés de contraste, ou en employant des angles de prise de vue étranges. Il convoque aussi certaines visions purement fantastiques, comme la magnifique déambulation de Christiane, masquée et vêtue d'un grand manteau argentée, dans la maison de son père ; ou la fin du film, quand elle part dans la campagne parmi les animaux qu'elle vient de libérer. La sensation d'étrangeté provient aussi des interprétations fantomatiques d'Edith Scob et Pierre Brasseur, qui s'expriment avec lenteur, comme dans un rêve. Franju prend ainsi bien garde à éviter l'argot gouailleur dont usait et abusait les films de gangsters français d'alors (Touchez pas au grisbi...).

Les yeux sans visage est aussi un film d'horreur d'une rare violence : la célèbre scène de l'opération, filmée avec sécheresse et rythmée avec habileté, parvient à atteindre un paroxysme dans la tension et dans l'horreur graphique que peuvent lui envier bien des oeuvres gore d'aujourd'hui. Les visions horribles, filmées avec franchise, sont nombreuses : les images de la greffe ratée, l'homme au visage dévoré par les chiens, le scalpel profondément enfoncé dans le cou d'une femme... sont autant d'images choquantes que Franju capte sans détour.

Enfin, les thèmes abordés par Les yeux sans visage le lient sans aucun doute au cinéma d'épouvante. En effet, les expériences inhumaines pratiquées par le docteur Génessier en font un cousin des savants fous qui ne posent guère de limites éthiques à leurs recherches (Frankenstein (1931) de James Whale, L'île du docteur Moreau (1932) de Erle C. Kenton...) et qui, ambitieux sans mesure, n'hésitent pas à défier Dieu (ici, le savant proclame qu'il cherche à vaincre la vieillesse...). Certes, les actes de Génessier semblent justifiés par l'amour sans bornes, au-delà du bien et du mal, qu'il porte à sa fille : toutefois, Christiane n'est pas dupe, et elle sait que c'est surtout sa soif de réussite qui pousse son père à l'utiliser comme un cobaye.

Les yeux sans visage partage, avec Les diaboliques, le privilège d'être une des très rares oeuvres d'épouvante françaises reconnues comme une référence internationale du cinéma d'horreur. Malgré quelques petites longueurs (avec les policiers), les qualités de son ambiance poétique et de son interprétation exceptionnelle en font un film unique et admirable.

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