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Au Mexique, une expédition archéologique découvre dans des ruines mayas un sanctuaire caché dédié à la déesse Caltiki. Un monstre horrible y est tapis...



Les vampires (1956), dont le tournage avait été commencé par Riccardo Freda (L'effroyable secret du docteur Hichcock (1962)...) et terminé par Mario Bava (Le masque du démon (1960)...), avait été une tentative audacieuse, mais guère couronnée de succès public, pour créer un cinéma italien d'épouvante. Le fantastique allait néanmoins finir par s'imposer au cinéma de ce pays grâce aux triomphes inattendus de nouveaux péplums (le genre avait été abandonné dans ce pays après la chute du fascisme au début des années 1940) à forte tendance mythologique : Les travaux d'Hercule (1957) et Hercule et la reine de Lydie (1958) réalisés par Pietro Francisci, interprétés par le culturiste Steve Reeves et photographiés en couleurs par Mario Bava. Riccardo Freda fait à nouveau le pari d'importer un genre anglo-saxon sur les écrans italiens en réalisant ce Caltiki, le monstre immortel, très largement influencé par les films de science-fiction américains(Danger planétaire (1958)...) et britanniques (Le monstre (1955) de Val Guest...) des années 1950. Néanmoins, Freda avoua n'avoir passé que très peu de temps sur le plateau, laissant rapidement à son chef-opérateur Mario Bava le soin de tourner l'ensemble du film (il est à noter que des interviews de Freda contradictoires ont parfois été citées, dans lesquelles il affirme avoir réalisé tout le film sauf les séquences d'effets spéciaux...). C'est avec ce film que Riccardo Freda commença à employer le pseudonyme anglicisé de Robert Hampton (Hamton dans le générique français !) pour signer certaines de ses œuvres. A une projection de Les vampires, alors qu'il traînait dans le hall du cinéma, il remarqua que des spectateurs renâclaient à aller voir ce film fantastique, spécialité américaine, en constatant, sur l'affiche qu'il était le fruit du travail d'une équipe italienne. Cela lui a donné l'idée d'angliciser les noms de certains membres de l'équipe de Caltiki, le monstre immortel : Mario Bava, crédité comme chef-opérateur, devient Marie Foam, le monteur Mario Serandrei devient Mark Sir Andrews... Ces transformations de noms italiens en pseudonymes anglo-saxons deviendront ensuite coutumières dans un cinéma italien cherchant à duper le public : parmi les cas les plus connus, citons Mario Bava qui se fera parfois appeler John Hold, Sergio Leone qui signera Pour une poignée de dollars (1964) sous le pseudonyme Bob Robertson, Antonio Margheriti (Danse macabre (1964)...) signera souvent Anthony M. Dawson, Bruno Mattei (Virus Cannibale (1980)...) emploiera entre autres le nom Vincent Dawn... Aristide Massaccesi finira par devenir si célèbre sous son pseudonyme Joe d'Amato (Anthropophagous (1982)...) que les cinéphiles ignorent souvent son véritable nom de naissance ! Pour revenir à Caltiki, le monstre immortel, le budget étant modeste, le casting est loin de rassembler des grands vedettes : John Merrivale a peu tourné, mais on le rencontre dans Le cirque des horreurs (1960) du britannique Sidney Hayers et Arabesque (1966) de Stanley Donen ; l'actrice Didi Perrigo est plutôt habituée aux seconds rôles, mais sa filmographie est variée : le controversé Kapo (1960) de Gillo Pontecorvo, la parodie de films de super-héros Arriva Dorrelik (1968) de Steno, La nuit de Varennes (1982) d'Ettore Scola... ; Gérard Herter fait surtout carrière dans les seconds rôles du cinéma populaire italien : aventures avec La charge des cosaques (1960) de Freda ; péplum avec Maciste dans la vallée des lions (1962) ; western avec Colorado (1966) de Sergio Solima ; guerre avec La bataille d'Al Alamein (1968) de Giorgio Feroni...
Riccardo Freda entre Les vampires et Caltiki, le monstre immortel

De 1956 à 1959, Freda tourne relativement peu de films pour son propre compte. Guet-apens à Tanger(1957) mêle espionnage et intrigue policière dans une petite production tournée en quinze jours à Tanger et Madrid. Pour La charge des cosaques (1959), Freda réalise un film d'aventures plus à son goût, avec Mario Bava comme chef-opérateur : Steve Reeves (Les travaux d'Hercule...) incarne le rebelle Hadji Mourad affrontant les troupes du tsar Nicolas Ier.

D'autre part, Freda va être appelé pour participer à l'élaboration de péplums à la génèse complexe, comme on en verra beaucoup tournés en Italie à la fin des années 1950. Pendant cette décennie, les grands studios hollywoodiens ont commencé à paniquer devant l'essor de la télévision et ont tenté de nouvelles tactiques pour attirer le public : outre les innovations techniques (nombreux essais sur le relief (L'homme au masque de cire (1953) avec Vincent Price...), lancement du cinémascope (avec le péplum biblique La tunique (1953), généralisation du Technicolor...), on multiplie les onéreuses productions afin de proposer au public des spectacles impossibles à rendre sur les écrans de télévision. Pour faire tout de même des économies, on tourne certaines de ses super-productions en Europe, où les frais de tournages sont nettement moins chers que à Hollywood. Le cid (1961) et La chute de l'empire romain (1964) d'Anthony Mann sont tous deux filmés en Espagne. Surtout, les péplums Quo Vadis (1951) de Melvin LeRoy et Ben Hur (1959) de William Wyler sont tournés à Rome : sur ces productions américaines, des réalisateurs italiens mettent la main à la pâte (il est notoire que Sergio Leone a travaillé sur Ben-Hur). Pendant ce temps, les producteurs italiens, conscients que Hollywood est en crise, décident de marcher sur les plates-bandes des américains. De nombreux péplums ambitieux sont alors produits par des européens et tournés en Italie à partir du milieu des années 1950. En 1957, Les travaux d'Hercule de Pietro Francisci avec Steve Reeves est un grand succès et marque la naissance de la vague du cinéma fantastique italien qui se poursuivra jusqu'à l'effondrement de l'industrie cinématographique italienne au milieu des années 1980.

On confie donc à Guido Brignone (vétéran ayant tourné des péplums fameux en Italie pendant l'entre-deux guerre : Maciste aux enfers (1926)...) le tournage de Sous le signe de Rome (1958) avec Anita Ekberg (La dolce vita (1960) de Fellini...) : le film sera signé de son nom, mais réalisé en fait par Riccardo Freda pour les scènes d'extérieur et, plus inattendu, par Michelangelo Antonioni (Le cri (1957), L'avventura (1960)...) pour les scènes d'intérieur : ce dernier accepta ce travail pour des raisons d'argent, ses œuvres personnelles n'étant pas encore très reconnues. De son côté, Freda se verra ensuite confier plusieurs fois de tels travaux ingrats, notamment pour Les mongols (1960) d'André de Toth.


Mario Bava entre Les vampires et Caltiki, le monstre immortel

De 1956 à 1959, Mario Bava n'est toujours pas reconnu comme un réalisateur en tant que tel. On continue à le voir œuvrer en tant que chef-opérateur sur le péplum parodique Les week end de Néron (1956) de Steno avec Alberto Sordi et Brigitte Bardot, le film de science-fiction Le danger vient de l'espace (1958) de Paolo Heusch (dont Bava signe aussi les trucages), le film d'aventures La charge des cosaques de Freda...

Surtout il collabore à plusieurs films du réalisateur Pietro Francisci. Après avoir éclairé son Roland prince vaillant (1956) (film d'aventures inspiré par la Chanson de Roland), Mario Bava est chef-opérateur et responsable des effets spéciaux de Les travaux d'Hercule, situé dans la lignée du Ulysse (1954) de Mario Camerini avec Kirk Douglas. Les travaux d'Hercule , magnifiquement photographié en couleurs par Bava, sort en 1957 et connaît un gros succès, consacrant au passage l'américain bodybuildé Steve Reeves vedette du cinéma d'aventures. La mode des péplums fantastiques mettant en scène des héros aux muscles hypertrophiés est lancée ! Elle sera à son apogée dans le cinéma italien durant tout le début des années 1960. Citons quelques uns des exemples les plus connus de ce genre : Hercule et la reine de Lydie en 1958, toujours réalisé par Pietro Francisci, photographié par Mario Bava et interprété par Steve Reeves ; Les titans (1961) de Duccio Tessari avec Giulano Gemma ; Hercule contre les vampires (1961) de Mario Bava avec Christopher Lee ; Hercule à la conquête de l'Atlantide (1961) de Vittorio Cottafavi ; Maciste en enfer (1962) de Riccardo Freda...

Caltiki, le monstre immortel

Au premier abord, l'argument de Caltiki, le monstre immortel est on ne peut plus cthulien. Jugez plutôt : un organisme monstrueux, préhistorique et informe (on pense irrémédiablement à un shoggoth) est retrouvé enfoui dans un sanctuaire sous-terrain situé sous d'anciennes pyramides mayas. Cette civilisation vénérait cet être terrible comme un Dieu (il est probable qu'on lui faisaient des sacrifices humains, au vu de ce qu'on va découvrir dans le lac artificiel de ce temple) : mais, une catastrophe mystérieuse a forcé les mayas à fuir cette ville... De nos jours (dans les années 1950, donc), des archéologues découvrent ce sanctuaire et le monstre qui l'habite : ils n'échappent que de peu à cette dangereuse menace. Un des explorateurs est blessé : on l'emmène dans un hôpital pour le soigner, et des scientifiques prélèvent des morceaux du monstre restés collés sur son corps afin de les étudier en laboratoire... A tout cela va s'ajouter une sombre histoire de prophétie très ancienne annonçant le réveil de Caltiki et la fin du monde. On se retrouve dans un récit proche de certains classiques de Lovecraft comme Les montagnes hallucinés, La cité sans nom et surtout L'appel de Cthulhu.

Pourtant, c'est certainement plutôt à des œuvres de science-fiction américaines et anglaises réalisés dans les années 1950, et qui avaient du succès en Italie, que Caltiki, le monstre immortel semblent se référer. L'étrange découverte archéologique dans des contrés hostiles fait penser à des classiques comme La chose d'un autre monde (1951) de Christian Nyby (dans une région polaire, une expédition découvre un vaisseau extra-terrestre enseveli dans la glace) et L'étrange créature du lac noir (1954) de Jack Arnold (des scientifiques trouvent, en pleine Amazonie, un mystérieux être préhistorique encore vivant). Pour la forme indéfinie et la texture spongieuse du monstre, ainsi que pour sa croissance menaçante, on pense à Danger planétaire dans lequel le terrible Blob menaçait les terriens. Surtout, les aventures scientifiques des chercheurs, la métamorphose de Max et l'apparence du monstre rappellent la série des aventures du professeur Quatermass, portés au cinéma par la firme britannique Hammer par deux fois déjà avec Le monstre et La marque (1957) : Caltiki, le monstre immortel fait vraiment penser au premier de ces deux films, dans lequel un astronaute revenait sur Terre contaminé par un étrange mal extra-terrestre et se changeait en un monstre informe.

Caltiki, le monstre immortel est un film à petit budget et, par conséquent, il n'échappe pas aux défauts de certains de ses cousins anglo-saxons les moins fortunés. Les interprètes sont dirigés sans beaucoup de rigueur, les personnages sont fades (le professeur et son épouse), tandis que certains décors ne sont vraiment pas convaincants (la jungle est bien étroite, certains extérieurs évoquent plus les terrains vaguesromains des films de Pasolini que le Mexique...). De plus, les effets spéciaux ne sont pas toujours trés réussis : le monstre, supposé avoir été conçu par Mario Bava à partir de tripes de veau, fait parfois penser à un vieux tas de chiffons préalablement trempés dans de l'eau savonneuse. L'assaut final abuse des miniatures. Toutefois, le scénario est assez intéressant et ne connaît pas trop de temps morts, bien qu'il ne soit pas avare en invraisemblances (l'accident de voiture arrive vraiment de façon commode pour les scénaristes) ou en séquences gratuites (la scène de danse vaudou (au Mexique ?), emprunte d'un certain érotisme désuet...). Le tout manque parfois de rythme et d'entrain.

Néanmoins, Bava fait contre mauvaise fortune bon cœur et travaille avec un soin maniaque ses éclairages en noir et blanc et ses cadrages : ombres des personnages sur les murs et ombres des objets jouant sur les personnages créent une symphonie de gris riches et nuancés, animant d'une vie propre le plus fade des intérieurs ou la plus bavarde des séquences. Grâce à son grand sens de la lumière et de la composition, Mario Bava parvient à donner à son film une patine luxueuse. Certaines maquettes et matte-painting sont exécutés méticuleusement et paraissent forts réussis (le site archéologique, l'observatoire spatiale...), tandis que le décor du sanctuaire est convaincant (on ne peut s'empècher, toutefois, de s'attendre à y voir débouler un Maciste ou un Hercule, tant il ressemble aux grottes qu'affectionnaient les péplums fantastiques italiens des années 1950/1960). Les trucages horrifiques sont très impressionnants (la main dévorée par le monstre, le visage décomposé...) et la séquence sous-marine fait preuve d'une certaine poésie. Le final compense ses effets spéciaux, charmants mais peu crédibles, par une efficace succession de péripéties.

Caltiki, le monstre immortel n'est certes pas un chef-d'oeuvre, et il n'est pas un des titres les plus importants des filmographies de Mario Bava et Riccardo Freda. Il reste néanmoins une agréable petite production de science-fiction horrifique qui se regarde sans passion ni ennui. Ses nombreuses ressemblances avec des travaux de Lovecraft en font un film intéressant pour les amateurs de cet écrivain, voire une inspiration tout à fait valable pour les Gardiens de L'appel de Cthulhu. Après ce film, Riccardo Freda allait tourner Le géant de Thessalie (1960), péplum mythologique mettant en scène les aventures de Jason et de ses argonautes ; il retournera, plus tard, au monde de l'horreur avec L'effroyable secret du docteur Hichcock, une oeuvre d'épouvante gothique sortie en 1962. De son côté Mario Bava va terminer le péplum La bataille de Marathon (1959), commencé à Rome par le réalisateur hollywoodien Jacques Tourneur (La féline (1942)...), renvoyé par les producteurs parce qu'il n'arrivait pas à respecter les délais de tournage : en remerciement, on laissera enfin Mario Bava réaliser son premier film bien à lui, Le masque du démon, en 1960, qui connaîtra un succès retentissant et lancera le courant du film d'horreur gothique italien...

Bibliographie consultée
L'Appel de Cthulhu 7e Édition est copyright © 1981, 1983, 1992, 1993, 1995, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2015 de Chaosium Inc.; tous droits réservés. L'Appel de Cthulhu est publié par Chaosium Inc. « Chaosium Inc. » et « L'Appel de Cthulhu » sont des marques déposées de Chaosium Inc. Édition française par Edge Entertainment.
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