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Parti de Boston, Philip a fait un long voyage à cheval pour se rendre au manoir de la famille Usher. Il compte y retrouver sa fiancée, Madeline. Celle-ci vit avec son frère, Roderick Usher, et un domestique. Roderick supplie Philip de quitter cette demeure et de laisser tranquille Madeline, qui est, selon lui, victime d'un mal incurable...



La chute de la maison Usher est bien entendu l'adaptation d'une des pluscélèbres nouvelles du père de la littérature fantastique moderne : Edgar Allan Poe.Cet écrivain avait déjà été porté à l'écran, parfois avec un certain succès (Lachute de la maison Usher (1928) du français Jean Epstein...), mais sans que celan'ait jamais donné lieu à un cycle d'adaptations s'inscrivant dans la durée. Or cettenouvelle version réalisée par Roger Corman (qui venait de finir un petit film : Creaturefrom the haunted sea (tourné en 1960, mais sorti en 1961)) a la particularitéd'avoir eu tant de succès que ce réalisateur va, avec l'aide d'une équipe qui changerapeu, réaliser sept autres films inspirés par l'oeuvre d'Edgar Poe, et ce jusqu'en 1964.Pour le rôle de Roderick Usher, Vincent Price est recruté en échange d'un confortablesalaire : il avait déjà été auparavant la vedette de films fantastiques importants,comme L'homme au masque de cire (1953) d'André De Toth ou La mouche noire(1958) de Kurt Neumann. A ses côtés, on trouve dans le rôle de Philip, Mark Damon (Lestrois visages de la peur (1963) de Mario Bava, Le fils du cid (1960) deVittorio Cottavafi, Ringo au pistolet d'or (1966) de Sergio Corbucci...), unjeune acteur peu connu, qui allait ensuite apparaître dans des films italiens avant de sedétourner de l'art dramatique pour travailler dans le domaine de la production de films.C'est Myrna Fahey, alors inconnue, qui incarne Madeline Usher : elle n'a presque rien faitd'autre pour le cinéma, mais a énormément travaillé pour des séries télévisées(comme Zorro, Batman...). Corman réunit une équipe d'habilestechniciens qu'il emploiera plusieurs fois au cours de son cycle Edgar Poe : lecompositeur Les Baxter, le chef-opérateur Floyd Crosby, le décorateur Daniel Haller (cedernier deviendra plus tard réalisateur de films tels que Dunwich horror (1970)ou Buck Rogers au XXVème siècle (1978)...). Surtout, il s'adjoint les servicesde l'écrivain Richard Matheson (qui avait déjà travaillé pour le scénario de L'hommequi rétrécit (1957) de Jack Arnold) afin d'élaborer des scripts de long métragesà partir des courtes nouvelles de Poe.
Le cinéma fantastique hollywoodien des années 1950 a été dominé par l'irruption de lascience-fiction. Des classiques du genre se sont succédés, avec La guerre des mondes(1953) de Byron Haskin, La planète interdite (1956) de Fred M. Wilcox, L'invasiondes profanateurs de sépultures (1956) de Don Siegel... Des petites firmes vontexploiter le filon en produisant à moindre coût des oeuvres mettant en scène desextra-terrestres ou des mutants aux apparences pittoresques, dont les spectateurs del'époque était très friands. A ce moment, la firme American International Pictures,fondée par Samuel Z. Arkoff et James H. Nicholson en 1955, vivote tranquillement enproposant des double-programmes composés de films abordant des genres à la mode (surf,aventures préhistoriques, gangster...) : évidemment, on y rencontre de lascience-fiction et du fantastique, avec des œuvres telles que Le fantastiquehomme-colosse (1957) de Bert I. Gordon, I was a teenage werewolf (1957) deGene Fowler jr.... Parmi leurs réalisateurs, on trouve le jeune et très travailleurRoger Corman, qui a abordé un peu tous les domaines du cinéma populaire, avec notamment,à son compteur, quelques invasions extra-terrestres : It conquered the world(1956), Not of this earth (1956)... En 1960, l'AIP lui propose de tourner deuxlongs métrage d'horreur en noir et blanc pour un budget de 100.000 dollars chacun. MaisCorman a une autre idée.


A la fin des années 1950, la petite firme anglaise Hammer décroche des succès insolentsen redonnant vie au répertoire des monstres classiques Hollywoodiens, peu ou prouabandonnés aux USA depuis le milieu des années 1940. Ainsi, leur Frankenstein s'estéchappé ! (1957) et Le cauchemar de Dracula (1958), tous deuxfilmés en couleurs par Terence Fisher, sont des triomphes. Corman comprend quece nouveau filon de l'horreur gothique est porteur. Il demande alors à l'AIP de semontrer ambitieuse et de lui confier 200.000 dollars pour un seul film, qui serait ainsitourné, en couleurs et en cinémascope, dans des conditions plus "normales" queses séries B habituelles. Amateur de Poe depuis le lycée, le choix de transposer Lachute de la maison Usher à cette sauce gaslight semble à Corman une excellenteidée. Les producteurs lui font confiance et accèdent à sa requête. Il sacrifie unebonne part du budget pour se payer Vincent Price, qui avait été en 1953 la vedette dufilm d'horreur L'homme au masque de cire, énorme succès populaire produit parla Warner Bros. L'AIP ne regrettera pas son choix puisque La chute de la maison Ushersera un gros succès public. C'est le début d'une série de huit films, réalisés parCorman, qui se terminera en 1964. Mettant presque tous en vedette Vincent Price (àl'exception de L'enterré vivant (1962)), ils en feront une star de l'horreur, dumême rang qu'un Boris Karloff (Frankenstein (1931)...) ou qu'un Christopher Lee(Le cauchemar de Dracula...). Avec ce cycle Poe, Corman s'affirme comme lemaître de l'épouvante gothique aux USA, au même titre que Fisher en Grande-Bretagne (Lecauchemar de Dracula...) ou Mario Bava (Le masque du démon (1960)...) enItalie.


Mais penchons-nous plus précisément sur La chute de la maison Usher. Lanouvelle de Poe ne faisant que quelques pages, il a évidemment été nécessaire deréaliser des aménagements. Le plus frappant est l'introduction d'un rapport amoureuxentre le narrateur et Madeline Usher. Chez Poe, le visiteur rend visite à son amiRoderick. Mais, ici, Philip va à la maison Usher pour retrouver sa fiancée Madeline. Lelien entre le narrateur et Roderick Usher n'est plus fondé sur l'amitié, mais sur unevéritable rivalité. Roderick refuse que sa sœur quitte la maison et Philip vachercher à comprendre par lui-même ce qui se passe dans cette demeure étrange. Ceconflit et cette enquête vont rythmer le récit, jusqu'à atteindre un final, fortfidèle à Poe : la maison s'y effondre dans un spectaculaire incendie, avecnotamment un effondrement de charpente que Corman n'hésitera pas à ré-utiliser dansd'autres films (L'empire de la terreur (1962), Le corbeau (1963)...).Tout cela ne va pas sans laisser sentir parfois une petite chute de rythme ou unesensation de remplissage un peu creux. Néanmoins, Matheson construit un récit bienmaîtrisé, en répartissant les révélations de façon suffisamment équilibrée tout aulong du récit. Le spectateur ne s'ennuie jamais véritablement.


Un grand apport de cette version de La chute de la maison Usher consiste à avoirfait de la bâtisse une entité douée d'une volonté propre et capable d'agirpar elle-même. Tout du moins, c'est ce que semble penser les habitants dela demeure chaque fois qu'un élément de la maison se brise accidentellement, risquantd'entraîner la mort de Philip l'intrus (une rampe d'escalier qui se brise, un lustre quise décroche du plafond...). Cela n'était guère présent dans la nouvelle de Poe. Cormana maintes fois déclaré que cette invention avait été ajoutée pour faire plaisir àses producteurs qui se seraient plaints que l'adaptation de La chute de la maisonUsher risquait d'être un film d'horreur sans monstre : il aurait alors étédécidé de transformer la maison en "monstre", doué d'une volonté autonome. Il est à noter qu'un des producteurs en question, Sam Arkoff, n'était pas d'accord avec cette déclaration de Corman, et affirma qu'il a toujours été très enthousiaste à l'idée d'adapter cette nouvelle de Poe.La demeure se distingue aussi par sa beauté saisissante. L'extérieur est rendud'une part par de belles mate-painting, et d'autre part par des décors de jardinssinistres, dont les arbres noirs et décharnés baignent dans une brume épaisse.L'intérieur est décoré d'un mobilier raffiné et surchargé, de style rococo, enharmonie avec la personnalité précieuse et instable du propriétaire des lieux. De mêmeles couleurs sont toujours rendues de façon légèrement trop saturée et un peuirréelle, de façon à nous faire partager l'hypersensibilité de Roderick. Ontrouve aussi une sinistre crypte gothique, pleine de cercueils poussiéreux, de chaînes,de grilles rouillées et de toiles d'araignée. Le décorateur Daniel Haller a en faitmeubler la maison Usher de façon très économique en allant acheter pour quelquescentaines de dollars des accessoires mis au rebut par les puissants studios Universal !Ces décors ont d'ailleurs resservis, ré-arrangés, dans toute la série des Poe-Corman(à l'exception des deux derniers : Le masque de la mort rouge (1964) et Latombe de Ligeia (1964) qui ont été réalisés en Grande-Bretagne, et non aux USAcomme les autres) : cela permettait de faire de saines économies et de donner une unitéplastique à ce cycle.


Le plus innovant dans ce métrage reste néanmoins le personnage de Roderick Usher. Cetêtre hypersensible (les sons et lumières lui arrivent suramplifiés, il ne supporte pasd'être touché...) vit seul avec sa sœur et un domestique dans son sinistre palais.D'un caractère fataliste et facilement morbide, il est aussi un homme délicat, auxmanières raffinées, porté sur la pratique des beaux arts (dessin et musique...). Maisson tempérament est si macabre que ses œuvres ne reflètent que des émotionssinistres, inquiétantes et malsaines : ainsi ses tableaux se complaisent dans unexpressionnisme agressif. Vincent Price, qui l'interprète, signe ici une de sescompositions les plus réussies. Il interprète un Roderick Usher pâle, aux traits finset à la pâleur excessive. C'est l'acteur lui-même qui a eu l'excellente idée de seteindre les cheveux en blanc pour ce rôle, ce qui accentue sa fragilité : il fait ainsipenser à un albinos. A la fois bourreau de sa sœur et victime de sa propre sensibilitéexacerbée, cruel et vulnérable en même temps, ce personnage très fidèle aux écrits dePoe, est sans doute la plus grande réussite de La chute de la maison Usher.


Corman a souvent dit avoir voulu approcher Poe sous l'angle de la psychanalyse. Lepersonnage de Roderick semble lié par un trouble lien incestueux à sa sœur, et ilconsidère indéniablement Philip comme un rivale. Il tenterait de transcender son amourimpossible dans la pratique de l'art. Corman a parfois déclarer avoir tourné toutes sesadaptations de Poe essentiellement en studio (à l'exception de La tombe de Ligeia),et non en décor naturel, parce qu'il il considérait que les œuvres de Poe relevant,pour lui, de l'inconscient, il fallait que tout soit baigné dans une ambiance recomposéeet coupée de la réalité. Est-ce sincère, ou bien s'agit-il d'une manière roublarde dejustifier des tournages à l'économie ? Ou encore faut-il y voir une façon d'attirer lessnobs vers le cinéma fantastique ? Ainsi, certaines déclarations de Corman sonttellement grossières qu'elles prêtent à sourire : "(...) la maison peut être vuecomme le corps d'une femme avec ses ouvertures (fenêtres, portes, arches). Le couloirdevient le vagin d'une femme (...)" ; ... Tout cela paraît d'autant plus plaquéque, contrairement, par exemple, aux films de vampires de la Hammer, les films Poe-Cormanne sont jamais vraiment sensuels, et pas du tout érotiques. Corman, peut-être enpoursuivant sa démarche freudienne, se sent tout de même obligé de nous infliger uneséquence onirique plutôt grotesque, qui est le point le plus faible du film :heureusement, elle n'atteint pas les sommets du ridicule conquis, plus tard, par laséquence rêvée de Le masque de la mort rouge.


Heureusement, La chute de la maison Usher peut très bien s'apprécier sansprendre en compte ces considérations, c'est-à-dire comme une très bonne transcriptiond'Edgar Poe. Le succès de ce film est tel que l'AIP demande à Corman de tourner unenouvelle adaptation des écrits de cet écrivain. Il envisage de tourner Le masque dela mort rouge à ce moment, mais il a aussi en projet un péplum à réaliser en Grèce(Atlas (1960)) ainsi que l'idée d'un film sur le racisme (The intruder (1962))à développer. Finalement, le second film de son cycle Poe sera une transposition de Lepuits et le pendule, sortie en France sous le titre La chambre des tortures(1961).



Bibliographie consultée :

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Version 1928
■ vonv 04/09/2004
Ben le cinéma muet reste une expérience poulpique s'il en est
Je suis tombé sur la version de 1928 : noir et blanc, sans paroles (accompagnement musical, morceaux de textes à l'écran et lu de loin en loin).

C'est bizarre. Assez original à notre époque mais c'est sûr que ça manque de... son. Mais une certaine ambiance est là.
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