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Un scénario à bord: Les noces d'Hyperion

La genèse

Parfois, l'humanité se prend à rêver, et le songe devient réalité.
L'Hyperion, lui, est le rêve d'un seul homme : Bruce Ismay, directeur général de la compagnie de navigation White Star Line, fondée par son père en 1869. Bruce est un homme ambitieux. Depuis des années, la White Star et la Cunard, sa principale concurrente, se battent pour le contrôle des océans en lançant tour à tour des paquebots de plus en plus énormes, de plus en plus luxueux et de plus en plus rapides. A plusieurs reprises, en 1872 et 1889, Ismay a su prendre l'avantage sur son adversaire : le Crius et l'Okeanos ont incontestablement ouvert la voie des super paquebots de l'ère moderne. Mais la Cunard ne s'en est pas laissée compter. Par deux fois, ses brillants ingénieurs ont réduit à néant les efforts de la White Star, établissant de nouveaux records de traversée de l'Atlantique dans le sens ouest-est. Cette fois-ci, Ismay veut frapper un grand coup. Nous sommes en 1896, et notre homme pense déjà au XXe siècle : pour symboliser l'entrée de l'Angleterre dans l'ère moderne, il veut construire le plus magnifique paquebot jamais réalisé et lui faire traverser l'Atlantique fin décembre 1900 en un temps record. Les passagers de l'Hyperion pourront tout à la fois fêter l'entrée du monde dans le XXe siècle et la suprématie totale de la White Star sur son arrogante adversaire. Ce sera le Nouvel An le plus extraordinaire de l'histoire de la navigation : avec un peu de chance, la reine Victoria sera même de la partie... Rapidement, les espoirs de Bruce Ismay rencontrent l'enthousiasme de Simon Morgan, riche financier américain qui se propose de prendre des parts dans la White Star et de payer lui-même les travaux. Les négociations avancent rapidement, et le 4 septembre 1897 on pose dans les chantiers navals Harland & Wolff de Belfast le premier élément de la quille de l'Hyperion. L'Europe toute entière ne tarde pas à se passionner pour la construction du titan le plus ambitieux jamais imaginé...

Comment embarquer ?

Très vite, dès 1897 en fait, se pose la question de savoir qui va pouvoir embarquer à bord de l'Hyperion. Bien entendu, la fine fleur de la noblesse européenne est conviée. Victoria, usée et fatiguée par plus de soixante ans de pouvoir, décline rapidement l'invitation, mais on annonce la présence de nombreux lords et ladies, ainsi que celle d'innombrables personnalités de la politique, des arts et du spectacle. Tour à tour, Rudyard Kipling, Gustav Mahler, Luigi Pirandello, Arnold Schönberg, Claude Monet, Gustav Klimt et des personnages aussi inattendus qu'Henri Dunant, Georges Méliès ou Ferdinand von Zeppelin annoncent leur participation à l'aventure. L'affiche de souscription, placardée à New York et dans toutes les capitales européennes, est réalisée par Alfons Mucha - qui sera lui aussi présent à bord.
L'engouement pour la première traversée de l'Hyperion atteint rapidement des proportions inimaginables. Sur les 2200 passagers que peut accueillir le paquebot, les 330 de première classe sont déjà inscrits au 25 août 1897. Les deuxième classe, eux, sont choisis par tirage au sort : sur les 65000 demandes reçues, seules quelques centaines pourront être satisfaites. Chez les troisième classe, la sélection est plus sévère - et plus aléatoire - encore. Inutile de chercher à s'inscrire : l'intégralité des 700 places prévues sont attribuées par concours, dans les journaux de Londres, de Vienne, de New York ou de Paris. Voilà peut-être l'unique chance pour les PJ de participer à cette extraordinaire aventure...

Le grand départ

Au matin du 27 décembre 1900, l'Hyperion est prêt à appareiller sur les quais de la White Star Line à Southampton (voir le scénario). Il doit rallier New York à une vitesse moyenne de 490 miles marins (plus de 900km) par jour - sans escale. Tout a été prévu : les cales contiennent 20000 litres de Champagne, plus de 5000 homards et langoustes ainsi que 20 bons kilos de caviar, sans compter le saumon, l'agneau, le poulet, le foie gras, les huîtres, les consommés, les vins et les liqueurs, les sorbets, les pâtisseries, les amuse-gueules et les épices, ainsi que les tonnes de légumes et de riz destinées à accompagner le tout. Cotillons, déguisements, feux d'artifice et l'orchestre de ragtime du Dave Walsh Quartet sont également de la partie.

Quelques lieux à connaître

1 - Les cabines de deuxième et troisième classes
Bien qu'évidemment moins luxueuses que celles des ponts supérieurs, les cabines de troisième classe offrent un confort bien plus grand que celui auquel leurs occupants sont généralement habitués. Les familles disposent d'un logement cossu, avec quatre lits superposés et un cabinet de toilette. Détail amusant : les célibataires sont séparés par toute la longueur du bateau ; hommes à l'avant, femmes à la poupe. Les cabines de deuxième classe, elles, sont plus spacieuses, mieux meublées et plus éloignées de la ligne de flottaison.

2 - Les cabines de première classe
En termes de luxe et de confort, la plupart de ces cabines peuvent rivaliser sans difficulté avec les chambres des grands hôtels parisiens. Meublées en style Empire et décorées de lourdes tentures rouges ou bleu marine, certaines sont en outre équipées de salles de bain privatives avec toilettes attenantes. Les lits sont spacieux et excessivement confortables, et les draps changés tous les jours.

3 - Le grand hall
Éclairé par un lustre monumental (une statue d'Artémis tenant deux candélabres jumeaux à bout de bras), le grand hall est tendu de larges panneaux blancs où sont exposés de nombreux tableaux de maîtres achetés par la Whi-te Star. Le connaisseur pourra notamment admirer The School Room d'Alfred Rankley, un portrait de James Wyatt exécuté par Millais et plusieurs œ ;uvres de Richard Redgrave.

4 - Piscine et bains turcs
C'est la première fois qu'une piscine et des bains de vapeur sont installés sur un paquebot. Décorés de mosaïques aux tons pastels, d'un plafond à caissons et de lustres en bronze doré, les bains turcs sont plus appréciés pour l'impression de fantaisie exotique qu'ils distillent que pour le confort tout relatif de leur atmosphère irrespirable. On y va généralement une fois " pour voir..." et on n'y revient plus : la mode des bains de vapeur n'est pas encore entrée dans les mœ ;urs. La piscine est de dimensions réduites, et les passagers ne s'y trempent généralement que quelques minutes, le temps de se délasser.

5 - Fumoir
Exclusivement réservé "aux messieurs», le fumoir ressemble à un club londonien, avec son mobilier couvert de maroquin et ses lambris de chêne sculpté. Lorsque l'envie leur prend de savourer un bon cigare, les visiteurs prennent place par groupe de quatre autour de petites tables carrées ou ovales. Le fumoir est l'une des rares salles de l'Hyperion à rester ouverte toute la nuit.

6 - Jardins & véranda
Appelée aussi " les Jardins de l'Olympe", cette salle à grandes baies vitrées et au mobilier d'osier blanc ferait presque oublier aux visiteurs qu'ils se trouvent sur le plus grand paquebot du monde. Un lierre vigoureux court sur des treillis disposés le long des murs, et les chemins de marbre carrelé invitent à circuler entre des îlots de verdure. Quel plus grand plaisir que de venir s'y prélasser à la nuit tombée pour savourer un chocolat chaud avec, en contrebas, un océan d'encre bleutée s'étendant à l'infini...

7 - Grand salon de première classe
Aménagé en style Louis XV et repensé en version edwardienne, ce salon est la pièce la plus luxueuse de tout l'Hyperion. Il est meublé avec des fauteuils à revêtements de velours, une large bibliothèque d'ébène, une cheminée surmontée d'une statue (Zeus brandissant la foudre), et une porte vitrée, s'ouvre sur le grand escalier avant. La plupart des gentlemen s'y retrouvent pour jouer aux cartes ou boire un verre de brandy.


8 - Grand escalier avant

Avec sa verrière à l'armature de fer forgé, ses panneaux muraux de chêne poli, ses balustrades ornées de dorures et sa pendule entourée de sculptures marbrées (Ouranos et Gaia, les parents des Titans, couronnant le Temps), le grand escalier est l'un des éléments décoratifs majeurs de l'Hype-rion. Il relie les ponts de promenade supérieurs au grand salon de première classe (deux ascenseurs sont également disponibles). Des fauteuils de velours anthracite disposés ici et là invitent à un repos momentané ou une petite discussion entre gens de bien.

9 - Gymnase
Doté de hautes fenêtres qui donnent sur le pont des embarcations, le gymnase est le rendez-vous des athlètes et des sportifs de première classe soucieux d'entretenir leur forme. Grâce à des équipements dernier cri, on peut s'y adonner aux joies de l'équitation, de la natation, du cyclisme ou de la course à pied. Sur le mur central, une gigantesque carte du monde est jalonnée de longs arcs de cercle rouge vif représentant les trajectoires des précédents navires ayant tenté de battre le record de la traversée de l'Atlantique. Si l'on s'approche suffisamment, on constate que certaines de ces lignes sont griffonnées d'annotations microscopiques - messages personnels ou correspondance ésotérique ?

10 - Pont promenade ouvert
Au lever du jour, un petit groupe d'amateurs de littérature gothique vient y déplier ses transats : les discussions tournent principalement autour d'Edgar Poe ou d'Ann Radcliffe. A la nuit tombée, ce sont les amoureux qui viennent se retrouver ici, raison pour laquelle l'endroit a été surnommé " le pont des Soupirs". Combien de serments échangés ici, combien de promesses jamais tenues ?...

11 - Café parisien
Cette salle unique en son genre a été conçue comme la copie d'un café parisien des grands boulevards. La nourriture, le décor et les garçons sont français. On y discute politique, on y joue aux cartes, on tente d'y attirer l'attention des dames... Au fil du voyage, des "cercles" d'affinités s'y forment de façon régulière autour d'un ou plusieurs " mentors" et chacun prend ses petites habitudes (tenue superbe exigée). C'est l'un de meilleurs endroits pour être tenu au courant des derniers ragots ou pour en apprendre plus sur la nouvelle conquête du capitaine !

12 - Salle à manger de première classe
Avec ses 30 mètres de longueur, ses alcôves et ses fenêtres à vitraux, cette salle de style Jacques 1er est la plus vaste jamais réalisée pour un navire. Au sol, une immense fresque représente le combat entre les Titans et les Dieux. Le dîner, généralement somptueux, y est servi de 18 h30 à 20 h (on déjeune à midi). Une fois rassasiés, les convives peuvent aller sur les ponts supérieurs ou se réfugier au café ou au fumoir.
Uchronie ou réalité ?
La White Star Line a réellement existé, mais notre background mélange allègrement réalité et fiction. L'Hyperion, par exemple, est sorti tout droit de notre imagination, même si ses dimensions sont calquées au mètre près sur celles du Titanic. Bruce Ismay, tout comme la Cunard, est bien réel : il se trouvait à bord du Titanic en 1912 et n'échappa à la mort que pour sombrer dans l'oubli et le déshonneur. Le Crius et l'Okeonos n'ont jamais vu le jour, mais ce n'est qu'une question de noms. Certains passagers de l'Hyperion ont réellement existé. Parviendront-ils à sortir vivants de notre scénario ( Les noces d'Hyperion) ? A priori, ce dernier n'est pas conçu pour les tuer car malgré un périple des plus mouvementés, l'Hyperion est censé arriver à bon port. Vous pouvez toutefois en décider autrement : dans ce cas, l'humanité devra se passer, entre autres merveilles, des Kindertotenlieder et de la fin des Nymphéas, ou de la Croix-Rouge. Un mot au sujet de Simon Morgan : il s'agit tout simplement du cadet imaginaire de John Pierpont Morgan, qui rachètera la White Star Line en 1902 et financera la construction du Titanic peu de temps après. A vous de décider si, après ce qui va arriver à l'Hyperion, le brave homme sera toujours prêt à se lancer dans l'aventure huit ans plus tard...
Pièces non décrites
13 - Salle à manger deuxième classe ; 14 - restaurant à la carte ; 15 - " appartements" de Ramsay d'Aquillée ; 16 - promenade privative d'une suite royale ; 17 - cales ; 18 - salle à manger troisième classe ; 19 - cuisines première et deuxième classe ; 20 - hôpital ; 21 - salle des turbines.

Bonne ambiance, non ?

Que vos joueurs se rassurent : 900 membres d'équipage sont là pour veiller au confort de leurs personnages et satisfaire leurs désirs les plus conventionnels. Le commandant Randolph T. Wilson représente l'autorité suprême à bord. Avec sa barbe broussailleuse, son air bourru et son calme olympien, ce quinquagénaire taciturne est bien évidemment la coqueluche de ces dames. Il est secondé par l'officier principal Brian Lyndhurst, un homme secret, réservé mais très compétent, à qui il arrive parfois de sourire. Le médecin chef, Francis Rawson, lui, est un véritable gentleman : il saura toujours trouver le mot pour rassurer ses patients, ou pour les faire rire (n'oubliez pas que l'Hyperion dispose d'un hôpital). Ah, et le cuisinier en chef ! Si vous voulez savoir ce qu'est un "ennemi», répétez-lui donc ce que vous disiez tout à l'heure à propos de son pudding Waldorf... Le tact, cher ami, le tact... La plupart des passagers de l'Hyperion sont là pour faire la fête, c'est entendu. Mais la plupart ont aussi un rang à tenir, et il s'agira pour les PJ de faire montre d'un minimum de savoir-vivre - pendant la journée tout au moins. Le soir, l'alcool aidant, beaucoup de choses peuvent changer. Un grand coup de pied dans les barrières sociales, pourquoi pas ? Mais plutôt à la nuit tombée. Bon. N'oubliez pas qu'il y a un orchestre, ici. Que les gens ont tous envie de s'amuser. Que les personnages n'ont - quasiment - rien d'autre à faire que dormir, manger des petits fours, séduire de jolies filles (ou de jolis garçons) et rencontrer des peintres déments. Un peu d'action ? Reportez-vous au dernier paragraphe. Et rangez ce fleuret !
Nantis ou mal lotis ?
La société victorienne, même sur le déclin, reste excessivement cloisonnée. Les personnages de vos joueurs risquent de s'en rendre compte lorsqu'ils se verront refuser l'accès de certains lieux pour cause, le cas échéant, de rang social trop bas. Deux solutions s'offrent à vous : soit faire en sorte que les PJ soient riches et/ou célèbres (en inventant au besoin un héritage ou un parent providentiel), avec l'assurance de pouvoir leur faire rencontrer une foule de personnages passionnants et fortunés, soit accepter les difficultés inhérentes à une condition disons "moyenne» et jouer avec elles. Rien de tel pour motiver vos joueurs que de mettre en travers de leur chemin des individus arrogants, méprisants et (trop) sûrs de leur droit.

Intriguant non ?

Si la vie à bord de l'Hyperion vous semble un peu trop calme, jetez donc un œ ;il à notre scénario page 48. Ou inspirez-vous des quelques pistes qui suivent pour concocter vos propres intrigues :
• Honneur bafoué ? Parole mise en doute ? Rendez-vous à 3 heures du matin sur le pont arrière, et amenez vos témoins. Les duels sont bien sûr formellement interdits, mais vous savez ce que c'est... Chaque nuit, une petite foule de curieux se presse au lieu-dit pour humer le parfum du sang.

• Cinq heures. La piscine est vide. Le silence. Puis une forme diaphane, presque... spectrale. Une enfant en pleurs... Sa robe déchirée... Elle appelle au secours, et votre sang se glace. Qui est-elle ? Il y a tout juste une semaine, l'officier principal Brian Lyndhurst a violé puis tué une jeune visiteuse égarée, avant de faire disparaître le corps en mer. Ses parents la cherchent toujours...

• " Le megalodon ! Il nous suit, je vous dis ! Depuis le début !" Mais oui, Pr Harroll-Mankenspiece. N'empêche... Et si c'était vrai ? Rappelons que le megalodon est, à peu de choses près, l'ancêtre préhistorique du grand requin blanc. Une véritable machine à tuer. Y a-t-il un capitaine Achab à bord ?

• Fondamentalement, Charles Watford est un brave type. Mais était-il vraiment obligé d'amener cette statue prétendument atlante à bord ? Difficile de dire ce qui se trouve sous l'Hyperion, à 3000 mètres de profondeur, mais la statue, elle, doit le savoir. Comment expliquer autrement le fait qu'elle se soit sauvée ?

• Arthur et ses amis français ne voulaient pas... Enfin, c'était pour jouer, et... Bon, que le colonel machin et la duchesse truc fassent des choses ensemble, ça ne les intéressait pas tant que ça, en fait... Seulement, le colonel les a vus, et Arthur - 12 ans - ne se sent plus vraiment en sécurité.

• De nos jours, dans les eaux situées entre l'Ecosse et l'Islande, il arrive encore qu'apparaisse le fantôme d'un paquebot du début du siècle, si proche et si réel que " l'on peut voir les officiers et les passagers se promener sur les ponts (...) et que les matelots qui l'ont croisé mettent quelque temps à réaliser [qu'il] est passé dans le silence le plus complet». Une telle apparition est toujours annonciatrice de catastrophe : collision en mer, mort d'un membre d'équipage, etc. Le nom qui se trouve sur la coque est à moitié effacé, mais il pourrait bien s'agir de l'Hyperion. Qu'a-t-il donc bien pu lui arriver ?
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Une mine d'infos à utiliser absolument
■ Manudeh 25/03/2006
Mille merci à l'auteur de cet article qui m'a vraiment énormément servi dans le cadre d'une campagne où mes PJs ont traversé l'Atlantique.

J'ai pu utiliser cette mine d'info pour améliorer le scénar du commerce (Mauretania) et véritablement faire vivre le bateau.

Un foisonnement de lieux et de PNJs tous plus intéressants les uns que les autres.

Génial!
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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