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Notes et transcription : chris-@-cinebis.org">Christophe Thill

H. P. LOVECRAFT : La Couleur tombée du ciel
(Denoël)

On ne sait presque rien, en France, de Howard Phillips Lovecraft, qui mourut en 1937 (à quarante-sept ans [1]) après une existence obscure, recluse et passablement tragique, qui fait de lui, toutes choses égales d'ailleurs, un cousin de Poe et de Kafka. Enfant prodige, il avait à cinq ans, dit-on, appris tout seul deux ou trois langues étrangères. Il semble qu'il ait passé le plus clair de sa vie enfermé dans sa chambre [2]. Selon certains, il buvait. Selon d'autres, il était un peu fou -- prisonnier, en tous cas, des hantises qu'il a "romancées" dans son oeuvre. Le mystère qui entoure ce curieux écrivain n'est pas sans rappeler celui qui s'attache aujourd'hui encore à la vie et surtout à la fin d'un autre écrivain "fantastique", trop mal connu du public français : Ambrose Bierce, auteur d'In the Midst of Life [3], dont on ignore quand, où et dans quelles circonstances il mourut, si l'on sait que, journaliste et ancien soldat de la guerre de Sécession, il s'enrôla dans l' "armée" de Pancho Villa, lequel le tua probablement de sa main...

C'est à la faveur d'un heureux malentendu que Lovecraft est aujourd'hui révélé au public français : son oeuvre n'a en effet que d'assez lointains rapports avec la littérature de science-fiction, sous le signe de quoi elle nous est présentée. Les nouvelles de Lovecraft n'ont ni pour décor la planète Mars, ni pour époque l'an 2000, mais la Nouvelle-Angleterre (U.S.A.) aux alentours de 1925. Elles sont pourtant plus "dépaysantes" que n'importe quel roman d'anticipation pseudo-scientifique. Toutes ont pour point de départ le même postulat, qui semble avoir obsédé Lovecraft jusqu'à la hantise, jusqu'à une terreur non feinte [4] -- dont peut-être la psychanalyse proposerait certaines "clés", si l'on en savait plus long sur l'homme lui-même. Pour lui, notre monde fut habité, et sans doute régi, par des êtres monstrueux (les "Anciens") venus d'un autre univers. Ces créatures d'Ailleurs n'auraient pas rompu tout contact avec notre planète, soit qu'elles reviennent parfois la visiter, soit que certaines s'y tapissent encore en des lieux "maudits", où il leur arrive de manifester leur présence et leurs pouvoirs de terrifiante manière. C'est ainsi par exemple que, dans les immeubles décrépits de la ville d'Innsmouth -- tenue en quarantaine par les habitants des régions avoisinantes -- se terreraient d'innombrables hommes-poissons, nés d'un monstrueux croisement entre des humains et les "Autres", qui habitent le fond de l'Océan...

A partir de ces données, Lovecraft a conçu toute une hallucinante mythologie dont chacun de ses récits est comme un fragment ou un épisode. En dépit de certaines naïvetés et d'une certaine désuétude de la forme, ils ont une puissance d'évocation et de suggestion à quoi l'on se soustrait difficilement. Ne serait-ce pas, surtout, que la conviction de leur auteur a quelque chose de contagieux -- jusqu'au malaise ? Plutôt que des extrapolations (souvent ingénieuses) de la science-fiction, je les rapprocherais volontiers des contes et des nouvelles d'un autre méconnu dont l'oeuvre représente l'un des sommets de la littérature "fantastique" -- j'ai nommé Jean Ray [5], que nous sommes quelques-uns, depuis quinze ou vingt ans, à nous flatter d'avoir "découvert" et dont Le Grand Nocturne, Malpertuis et Les Derniers Contes de Canterbury, publiés en Belgique pendant la dernière guerre, sont aujourd'hui malheureusement introuvables [6].
Claude Elsen
La Nouvelle NRF n° 24, 1er décembre 1954, p. 6.


Notes :

1. En réalité, quarante-six. Retour

2. Les deux phrases qui précèdent sont encore une contribution à la légende du "génie venu d'ailleurs". Les deux qui suivent semblent par contre vouloir souligner sa ressemblance avec Edgar Poe. Mais Lovecraft n'a jamais absorbé une goutte d'alcool de sa vie et était un fervent partisan de la Prohibition... Retour

3. En français, En plein coeur de la vie (2 vol.) ou Morts violentes. Notons que Lovecraft n'aurait pas renié ce rapprochement avec Bierce, mais que l'auteur de l'article ne pouvait pas le savoir (ce qui tendrait plutôt à montrer son intelligence). Retour

4. D'autres critiques ont fait la même observation. Il convient d'être très prudent : "non feinte", oui si on veut dire que Lovecraft croyait au pouvoir de terreur des idées qu'il développait ; non, cent fois non, si on sous-entend qu'il était persuadé de l'existence réelle des Grands Anciens, sous la forme qu'il leur a donnée ou sous une autre. Retour

5. Comparaison tout à fait pertinente ; on trouve même l'évocation de monstruosités sous-marines cthulhoïdes liées à d'autres dimensions dans Le Psautier de Mayence. Et quelques années plus tard, les critiques admettaient Jean Ray à son tour parmi les classiques du fantastique. Retour

6. Ces oeuvres ainsi que la plupart des autres se trouvent aujourd'hui très facilement en édition de poche. Retour
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