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Dans une petite ville américaine, un médecin, Miles J. Bennell, reçoit la visite de patients racontant que leurs proches (mère, oncle...) ont été remplacés par des êtres qui ont pris leur apparence, mais dont le comportement est différent. Miles croit à une psychose collective. Puis il se rend compte qu'il s'agit d'une sournoise invasion extra-terrestre...



C'est le producteur Walter Wanger (La reine Christine (1933) de Rouben Mamoulian, Les mille et une nuits (1942) avec Sabu, Cléopâtre (1963) de Joseph L. Mankiewicz...) qui découvre la nouvelle de science-fiction The body snatchers de Jack Finney, et décide de la porter au cinéma. Il s'associe pour cela à la compagnie Allied Artists Pictures Corporation, spécialisée dans les œuvres à petit budgets (western, fantastique, aventures...). Wanger choisit comme réalisateur Don Siegel (L'inspecteur Harry (1971)...), pour qui il venait de produire le film de prison Les révoltés de la cellule 11 (1954), qui connut un certain succès. Siegel choisit, de son côté, le scénariste Daniel Mainwaring (Ca commence à Vera Cruz (1949) de Don Siegel...). Le réalisateur Sam Peckinpah (La horde sauvage (1969)...), alors assistant de Don Siegel, s'est parfois attribué une part de la rédaction de ce script, mais les autres personnes ayant travaillé sur ce film considère que son apport a été tout à fait minime. L'invasion des profanateurs de sépultures est tourné en 23 jours à peine. Le docteur Miles J. Bennell est interprété par Kevin McCarthy (Buffalo Bill et les indiens (1976) de Robert Altman, Le voyage intérieur (1987) de Joe Dante...).
La science-fiction américaine

En 1938, Orson Welles commet un fameux canular radiophonique en s'inspirant du roman La guerre des mondes de H.G. Welles : son show radio, présenté comme d'authentiques flashs de nouvelles, laisse croire aux auditeurs, à travers tous les USA, que le pays est envahi par des extra-terrestres venus en vaisseau spatial. Il provoque ainsi une grande panique chez certains auditeurs. La science-fiction, et plus particulièrement le thème des envahisseurs d'outre-espace, venait de faire son entrée en force auprès du grand public américain. La seconde moitié des années 1940 est marquée par le déclin du cinéma fantastique horrifique hollywoodien des années 1930 (Dracula (1931) de Tod Browning, Frankenstein (1931) de James Whale...), avec, notamment, l'exploitation des mythes fantastiques dans des séquelles de plus en plus farfelues et désargentées, ainsi que dans des parodies (La maison de Dracula (1945), Deux nigauds contre Frankenstein (1948)...). Le cinéma fantastique américain s'oriente désormais vers la science-fiction, en mettant en scène les peurs engendrées par les progrès technologiques de la seconde guerre mondiale (fusée, bombe atomique...), ainsi que l'évolution de la situation géopolitique (essentiellement la guerre froide, très vigoureuse jusqu'à la mort de Staline en 1953). La science-fiction au cinéma américain commence vraiment à percer au tout début des années 1950, avec Destination lune (1950) d'Irving Pichel. Des extra-terrestres montrent ensuite le bout de leur nez sur Terre, où ils ne sont pas vraiment bien accueillis, alors que leurs motivations n'étaient pas encore clairement hostiles (La chose d'un autre monde (1951) de Christian Nyby et Howard Hawks, Le jour où la Terre s'arrêta (1951) de Robert Wise, Le météore de la nuit (1953) de Jack Arnold...). Mais, avec Les envahisseurs de la planète rouge (1953) de William Cameron Menzies et La guerre des mondes (1953) de Byron Haskin et George Pal, tournés au plus fort de la guerre froide, les ambiguïtés sont vite dissipées : les extra-terrestres sont nécessairement malveillants et manipulateurs. La science-fiction américaine se retrouve donc paré d'un caractère propagandiste peu sympathique.

Ce genre continue à évoluer, jusqu'à atteindre une certaine maturité et à proposer quelques chefs œuvres, comme L'invasion des profanateurs de sépultures, La planète interdite (1956) de Fred M. Wilcox ou L'homme qui rétrécit (1957) de Jack Arnold. Puis, avec les succès internationaux des productions horrifiques de la compagnie anglaise Hammer (Frankenstein s'est échappé ! (1957) de Terence Fisher...), certains réalisateurs américains vont se laisser tenter par un retour à une épouvante plus classique, comme Alfred Hitchcock (Psychose (1960)...), Robert Wise (La maison du diable (1963)...) ou Roger Corman (La chute de la maison Usher (1960)...). La SF traditionnelle, avec ses soucoupes volantes et ses petits hommes verts, connaît un certain mouvement de déclin, et se retrouve de plus en plus cantonnée aux séries B de petites compagnies. Pourtant, une autre forme de cinéma d'anticipation voit le jour à Hollywood. Ce n'est plus des cieux ou du bloc communiste que vient la menace, mais de la civilisation américaine et de ses problèmes socio-politiques internes : le racisme (Le monde, la chair et le diable (1959) de Ronald McDougall...), la prolifération des armements nucléaires (Le dernier rivage (1959) de Stanley Kramer...)... Ce mouvement culminera avec des œuvres de science-fiction pessimistes et engagées, comme La planète des singes (1968) de Franklin Schaffner, La nuit des morts-vivants (1968) de George Romero, Soleil vert (1973) de Richard Fleischer... Et n'oublions pas 2001, l'odyssée de l'espace (1968), qui, sous une forme confinant souvent à l'abstraction, lance la science-fiction vers des cimes métaphysiques !

Toutefois, ce courant de science-fiction adulte sera coupé net par le succès imprévu et colossal de La guerre des étoiles (1977) de George Lucas, space-opera bariolé, descendant directement de serials puérils des années 1930 comme Flash Gordon (1936) ou Buck Rogers (1939). Outre les deux suites de La guerre des étoiles (1977) (L'empire contre-attaque (1980) et Le retour du Jedi (1983)), on assiste à un déferlement d'œuvres du même tonneau en provenance du monde entier : Galactica, la bataille de l'espace (1978) de Richard O. Colla, Le choc des étoiles (1978) de Luigi Cozzi, Buck Rogers au XXVéme siècle (1978) de Daniel Haller, Flash Gordon (1980) de Mike Hodges, Les évadés de l'espace (1978) de Kinji Fukasaku, l'excellent Star Trek, le film (1979) de Robert Wise... D'autre part, Steven Spielberg revisite le thème de l'extra-terrestre nous rendant visite de manière humaniste et optimiste avec Rencontres du troisième type (1977) et E.T. (1982), deux énormes succès commerciaux. Ridley Scott, avec ses deux chefs d'oeuvre Alien (1979) et Blade runner (1982), propose une vision plus sombre de ce genre, et influence ainsi des réalisateurs comme John Carpenter (New York (1981), The thing (1982)...), James Cameron (Terminator (1985), Aliens (1986)...) ou John McTiernan (Predator (1989)...). Les années 1990 seront, elles-aussi, tiraillées par un tel antagonisme entre une science-fiction assez légère et commerciale, plutôt dans le style de La guerre des étoiles (Independance day (1996) de Roland Emmerich, dont le récit correspond aux films du début des années 1950, Terminator 2 (1991) de James Cameron, La planète des singes (2001) de Tim Burton...), et une anticipation sombre, voire paranoïaque, avec le triomphe de la série TV Aux frontières du réel et d'œuvres comme L'armée des douze singes (1995) de Terry Gilliam, Dark city (1998) d'Alex Proyas, Matrix(1999) des frères Wachowski...

L'invasion des profanateurs de sépultures

Avant toute chose, il faut savoir que L'invasion des profanateurs de sépultures, tel qu'on le connaît aujourd'hui, a subi des modifications avant sa sortie. Déjà, il était prévu qu'Orson Welles lise, en introduction du film, un message dans le style des actualités radiophoniques, comme pour son émission La guerre des mondes de 1938 : mais cela ne s'est pas fait. Néanmoins, à la fin du tournage de L'invasion des profanateurs de sépultures, Don Siegel et Daniel Mainwaring sont satisfaits du film. Des projections tests sont organisées et le public réagit très bien à ce montage originel. Mais la compagnie Allied Artists est inquiète, et trouve que cette oeuvre manque d'éléments caractérisant habituellement les films de science-fiction (vaisseau spatial, robot...). En plus, la fin lui paraît trop sombre : la version de Siegel s'achevait avec Miles courant seul sur l'autoroute parmi les voitures, en hurlant des avertissements aux automobilistes qui refusent de le croire ou de l'écouter. Le studio impose alors le tournage d'un prologue et d'un épilogue, dans lesquels Miles est interrogé dans un hôpital, un peu comme pour Le cabinet du docteur Caligari (1920) de Robert Wiene, et raconte son histoire à ses interrogateurs. Dans l'épilogue, les médecins le croient, et décident de contacter la police pour arrêter l'invasion : cette conclusion est donc nettement plus optimiste que celle prévue par Siegel, et elle laisse entendre que les médecins et les policiers vont aider Miles dans sa lutte, ce qui n'est nullement le cas dans le montage original, où les institutions publiques sont systématiquement défaillantes et manipulées par l'ennemi. D'autre part, Allied Artists a aussi retiré certains passages humoristiques au début du métrage, les jugeant déplacés dans un film de science-fiction : en effet, les premières réactions de Miles face aux témoins de l'invasion étaient supposées être beaucoup plus incrédules et ironiques. Cela aurait permis d'avoir une progression plus nette de l'évolution de ce personnage, qui passe d'un cynisme moqueur à une prise de conscience horrifiée : dans la version actuelle, le début du métrage peut donc paraître un peu plat. Enfin le titre envisagé par Siegel (Sleep no more : Ne dormez plus ; ce titre aurait fait allusion au fait que, dans ce film, les extra-terrestres s'attaquent aux hommes dans leur sommeil) est remplacé par Invasion of the body snatchers. Il faut noter que L'invasion des profanateurs de sépultures est ressorti aux USA en 1979 sans le prologue et l'épilogue imposé par Allied Artists, conformément à la volonté de Don Siegel.

Dans L'invasion des profanateurs de sépultures, le docteur Miles J. Bennell est confronté à une invasion extra-terrestre extrêmement sournoise. Les envahisseurs, sous forme de cosses végétales, profitent du sommeil des humains pour prendre leur apparence et assimiler leurs souvenirs. Une fois la métamorphose achevée, ils prennent la place de ce terrien dans la société et sa famille. Bien qu'il ressemble trait pour trait à sa victime, ses proches peuvent se rendre compte que son comportement a imperceptiblement changé : il est devenu "moins humain". Au cours de son enquête, Miles finit par se rendre compte que presque toute la petite ville a été clonée par les envahisseurs... A travers cette communauté dont les membres sont devenus inhumains, alors, qu'en apparence, rien n'a changé, on a souvent voulu voir, comme dans Les envahisseurs de la planète rouge dont l'argument est assez semblable, une parabole mettant en garde les spectateurs américains contre l'insidieuse et dangereuse présence d'éléments communistes dans leur société. Mais, d'autres arguent que le scénariste Daniel Mainwaring était un homme plutôt à gauche, dont plusieurs amis ont connu des ennuis de 1950 à 1954, lorsque que le sénateur McCarthy menait la "chasse aux sorcières" contre les sympathisants communistes travaillant à Hollywood, instaurant ainsi une ambiance de délation et de paranoïa dans le milieu du cinéma : L'invasion des profanateurs de sépultures inciterait alors à refuser le conformisme, à ne pas baisser la tête devant un système normatif et inhumain, et à conserver sa singularité et sa dignité envers et contre tout. De son côté, Don Siegel penche plutôt vers une interprétation plus générale de L'invasion des profanateurs de sépulture, en constatant, dans certaines interviews, que les gens ont de plus en plus tendance à vivre de façon mécanique et végétative, sans aucune ambition ni passion : son film serait alors une invitation à refuser de se conformer à une société apathique, passive et vouée à la médiocrité.

L'invasion des profanateurs de sépultures est réalisé dans un style efficace, fluide et quasi-documentaire. Si il est filmé dans un noir et blanc élégant, il refuse néanmoins les facilités d'éclairages expressionnistes trop tranchés. Dans le même sens, Siegel évite astucieusement d'avoir recours au bric-à-brac technologique si fréquent dans le cinéma de science-fiction de cette époque : on ne rencontre donc pas d'extra-terrestre à l'allure extravagante, de vaisseau intergalactique, de rayon de la mort ou de robot sophistiqué. Ce refus rigoureux de ces oripeaux pittoresques donne encore plus d'efficacité à L'invasion des profanateurs de sépultures, en lui permettant de mieux mettre en valeur les personnages et en renforçant la crédibilité de son récit. Seules les fameuses cosses géantes, dont on voit certaines en cours de transformation, viennent indiquer visuellement la présence d'éléments surnaturels. L'étrangeté va donc venir essentiellement de l'attitude légèrement décalée des envahisseurs à visage humain, et de leur manière discrète et sournoise d'occuper de plus en plus efficacement le terrain (sabotage, chasse à l'homme nocturne, discours rassurants pour endormir la vigilance de leurs adversaires, culture industrielle des cosses...).

L'invasion des profanateurs de sépultures est aussi fameux pour son inimitable atmosphère paranoïaque. Ainsi Miles J. Bennell, d'abord incrédule et confiant, va constater progressivement la réalité de l'invasion extra-terrestre. Il se retrouve alors de plus en plus isolé, ses amis ayant pour la plupart déjà été détruits par ces adversaires et l'invasion étant déjà dangereusement avancée : derrière les façades tranquilles des maisons se trament des complots malveillants, et toutes les tentatives de Miles pour obtenir de l'aide ou pour communiquer avec l'extérieur de la ville seront stoppées par les aliens, diablement habiles et prévoyants. Une des scènes les plus troublantes nous montre la place principale de la grande ville sur laquelle se promène tranquillement des habitants qui, au son d'une sirène étrange, vont tous se retourner et se rassembler autour du shérif afin qu'on leur distribue des horribles cosses d'outre-espace, qu'ils iront dissimuler dans les villes voisines, afin d'étendre l'emprise des envahisseurs sur toute la région : à ce moment précis, Miles et son ex-femme comprennent qu'ils sont les derniers habitants humains de la ville ! L'apothéose paranoïaque du récit est évidemment la course folle de Miles sur l'autoroute hurlant aux automobilistes indifférents et aux spectateurs : "Vous serez les prochains" ! Saluons au passage la qualité générale de l'interprétation de ce film, et notamment le jeu particulièrement intense et naturel de Kevin McCarthy.

L'invasion des profanateurs de sépultures, grâce à son atmosphère paranoïaque extrêmement efficace et son ambiance réaliste, crédible et angoissante, est devenu un des classiques les plus admirés de l'âge d'or de la science-fiction américaine, et ce malgré les ambiguïtés de son contenu politique, aujourd'hui encore difficile à démêler. En jouant sur l'idée que nos proches, contaminées par une force obscure, puissent devenir nos adversaires sans que nous nous en rendions compte, il annonce des œuvres importantes, comme La nuit des morts-vivants de George Romero, The thing de John Carpenter, ainsi que des séries TV comme Les envahisseurs ou Aux frontières du réel. L'invasion des profanateurs de sépultures connaîtra deux remakes : le très bon L'invasion des profanateurs (1978) de Philip Kaufman, dans lequel les extra-terrestres arrivent à San Francisco ; et le moins convaincant Body snatchers (1993) d'Abel Ferrara, qui prend place dans une base militaire.

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