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Anna, Georg et leur fils se rendent dans leur luxueuse résidence en plein cœur des Alpes afin d'y passer les vacances. Deux jeunes hommes viennent leur rendre visite. Ce sont en fait deux sadiques qui vont leur faire vivre un véritable enfer...



Funny games a été réalisé par Michael Haneke. Né en Allemagne, diplômé de psychologie et de philosophie, il travaille longtemps pour les télévisions allemande et autrichienne. Ce n'est qu'avec Le septième continent (1989) qu'il tourne son premier long métrage, portrait glacé d'une société occidentale contemporaine, dans lequel Haneke affirme déjà un style froid, hautain et moralisateur, empruntant beaucoup à Robert Bresson (Pickpocket (1959)...). Il revient ensuite avec Benny's video (1992), où il introduit déjà son attraction/répulsion pour la violence ainsi que son discours sur l'édulcoration de sa représentation dans les médias : la réflexion est primaire et réactionnaire (un enfant devient un serial killer parce qu'il regarde la comédie horrifique Toxic (1985)  de Michael Herz et Loyd Kaufman !), tandis que la volonté de déranger les habitudes des spectateurs s'affirme. Vient ensuite le très mauvais 71 fragments d'une chronologie du hasard (1994), relatant d'une manière froide et dénuée d'empathie les évènements qui vont conduire un jeune homme à commettre un massacre sauvage et gratuit dans une banque : encore une fois, la réflexion est courte et le style artificiel et glacé. Si ces films lui avaient déjà valu un certain intérêt de la part de certaines revues (notamment dans le catholique Télérama), c'est Funny games qui va lu attirer la plus grande renommée, en parvenant à atteindre aussi bien la critique "exigeante", c'est à dire à la recherche d'un style de cinéma correspondant à des conceptions bourgeoises et moralistes du cinéma, qu'un public, plus large et plus populaire, intéressé par les thrillers et le cinéma d'épouvante. Les parents Anna et Goerg sont interprétés par Susanne Lothar (La pianiste (2001) de Haneke...) et Ulrich Mühe (Benny's video (1992) de Haneke...), deux acteurs de théâtre ayant déjà tourné dans des films de ce réalisateur. Un des deux bourreaux, Arno Frisch, apparaissait déjà dans le rôle d'un jeune sadique dans Benny's video.

Funny games appartient à cette catégorie de films cherchant à montrer de la manière la plus crue et la plus dure possible la violence. A ce titre, Michael Haneke dit avoir été très impressionné par Salo ou les 120 journées de Sodome (1975) : ce film de Pasolini est une transposition des écrits du marquis de Sade dans la république fasciste italienne de Salo, pendant la seconde guerre modiale, juste avant l'arrivé des soldats américains ; des bourgeois et des notables décident de s'enfermer dans une demeure avec des jeunes gens pauvres, qui leur serviront d'objets de plaisir dans des jeux extrêmement cruels. Ce film insoutenable ne peut pas être réduit à un simple enchaînement gratuite de scènes brutales : il s'agissait, pour son réalisateur, de dénoncer avec véhémence la violence d'extrême-droite à une époque où le terrorisme politique, noir ou rouge, faisait rage en Italie (en plein cœur des années 70). De plus, Pasolini le plaçait aussi en antithèse à sa libertine trilogie de la vie (composée des films Le decameron (1970), Les contes de Canterbury (1972) et Les mille et une nuits (1974)).

Avec Funny games, Haneke va donc faire du spectateur le témoin impuissant de tortures physiques et morales particulièrement insoutenables, pratiquées par deux jeunes bourgeois sadiques et amoraux. Comme les notables de Salo ou les 120 journées de Sodome, ils vont imposer, pour se divertir, les règles de jeux particulièrement cruels à leurs victimes impuissantes. Par son cadre social et géographique banal, Funny games va plutôt s'orienter vers la représentation d'un fait divers insoutenable, gratuit et sordide. En cela, il évoque énormément La dernière maison sur la gauche (1972) et La colline a des yeux (1977) de Wes Craven (un autre diplômé en philosophie !), Massacre à la tronçonneuse (1974) de Tobe Hooper, Henry (1985) de John McNaughton et même, par sa manière de pervertir avec un humour hyper-noir les codes du genre auquel il se rattache, C'est arrivé près de chez vous (1992) de Belvaux, Bonzel et Poelvoorde.

Non seulement Haneke va faire du spectateur le témoin horrifié de tortures très cruelles, mais en plus, il va suggérer qu'il en est le complice, à travers les apartés que lui adresse le sadique Paul : celui-ci nous fait des clins d'oeil, nous demande si on veut qu'il aille plus loin... Haneke, après avoir fait naître un sentiment d'empathie envers les victimes, veut nous faire admettre que nous sommes les complices des assassins. Le procédé est très ambiguë. Le film étant une fiction, insupportable certes, mais une fiction seulement, de quoi le spectateur est-il complice ? On sent donc une volonté de le choquer, voire une stratégie manipulatrice et assez répugnante de le culpabiliser. Il semble qu'Haneke reproche au spectateur d'apprécier le spectacle de la violence : hors, ici, ce spectacle, comme dans les films cités plus haut n'est pas "belle" ou désamorcée par de l'humour. Certes. Mais, des films plus esthétisants ou diverstissants, comme Suspiria (1977) de Dario Argento ou Piège de cristal (1989) de John Mc Tiernan, sont, comme Funny games, des fictions, mais des fictions qui ne cherchent pas à donner une image réaliste de la violence, parce que, justement, elles ne cherchent pas à tricher avec leur statut de fiction. A ce titre, ils sont moins ambigües qu'un Funny games. De plus, faut-il reprocher au spectateur de rire à l'humour noir des Monty Python ou de la violence explosive d'un dessin animé de Tex Avery ou d'un film gore de Peter Jackson (Bad taste (1987)...) ? Ce sont pourtant des œuvres autrement plus subversives que les fadaises conformistes, garantie 100% non violentes des comédies romantiques avec Julia Roberts ou des dessins animés de Walt Disney... voire qu'une grande part d'une cinéma "indépendant" américain ou des films "d'auteurs" européens.

La plus grosse faiblesse de Funny games est de vouloir dénoncer la violence des spectacles de cinéma en jouant sur une certaine surenchère. Parmi les réalisateurs reprochant au cinéma sa trop grande violence, qui "serait susceptible" d'influencer en mal les comportements, il semble que seul Wim Wenders ait une attitude cohérente, en refusant de montrer toute espèce de brutalité physique dans ses œuvres, même quand elles traîtent de ce sujet (comme Si loin, si proche ! (1993), ou The end of violence (1997)...). Mais Haneke dit refuser cette attitude, car il la juge "inefficace", produisant des films sans impact, trop doux. Cet aveu éclaire Funny games d'un jour particulièrement antipathique : Haneke assomme le spectateur de violence, le met mal à l'aise, en fait l'objet d'un chantage émotionnel (le personnage de l'enfant...), pour tenter de lui imposer des idées, pour lui faire subir une "punition" mentale éprouvante, censée le dégoûter à jamais du spectacle de la violence. On peut trouver que cette démarche complaisante relève, littéralement, du terrorisme intellectuel !

Éduqués, riches, les jeunes sadiques semblent agir gratuitement, sans véritable motif. Haneke va néanmoins les présenter comme les produits d'une certaine culture de la violence qui serait spécifique de notre époque (on a alors le droit à un amalgame assez grossier, où se mêle, dans le vague, dessin animé, MTV, musique hardcore, science-fiction, cyberspace, course automobile (!)...). C'est évidemment totalement discutable : Caligula, Gilles de Rais ou la comtesse de Bathory n'ont pas attendu l'invention de la télévision et du cinéma pour étriper, violer et torturer des innocents de manière gratuite ! Autre élément naïf du raisonnement de Haneke : il affirme que ses sadiques ne savent pas faire la différence entre la réalité et la fiction (la discussion sur le bateau), reprenant ainsi les arguments les plus idiots déployés dans les journaux conservateurs de tous pays (Télérama en France, les quotidiens populaires anglais partisans de la censure...) : les jeunes spectateurs seraient si idiots qu'ils ne seraient pas capables de distinguer les images de la réalité de celle de la fiction (voir à ce titre l'entretien de Haneke dans la Mad Movies numéro 111), ce qui aurait pour conséquence d'alterner leur perception de la réalité, de ce qui y est permis, et des conséquences des actes qu'ils commettent. A travers cette idée complètement fausse (la distinction des images d'actualité et des images de fiction est assimilée extrêmement tôt et avec beaucoup d'acuité par les générations de spectateurs ayant grandi avec la télévision), Haneke exprime surtout son absence de confiance dans l'intelligence du spectateur. Il se situe donc à l'opposé d'un Kubrick qui, dans Orange mécanique (1971), pose les éléments d'un débat sur la violence (entre respect du libre-arbitre et répression) sans trancher, en laissant au spectateur le soin de réfléchir par lui-même, en son âme et conscience. On ne s'étonne pas alors que Haneke regarde de haut l'attitude raisonnable d'un Wenders (qui croit à une dénonciation de la violence par des arguments raisonnés). Pour convaincre un grand public qu'il semble mépriser, Haneke croit à un cinéma imposant ses idées avec brutalité, de façon malsaine et manipulatrice.

Au-delà de sa réflexion assez courte sur la violence et de sa manière discutable d'imposer son point de vue, Funny games se veut aussi un thriller traditionnel, mais dont les règles seraient totalement perverties. C'est sans doute grâce à son style solidement implanté dans un genre populaire, et non dans une austérité antipathique héritée de Bresson, que Funny games a atteint un assez large public, et a même récolter quelques prix dans des festivals de cinéma fantastique. Pourtant, Haneke ne masque pas, dans les interviews, son mépris pour la littérature et le cinéma policiers. Et il avoue s'être amusé à pervertir les règles du genre avec un humour extrêmement noir. On pense ainsi à la surprenante scène de la télécommande, où Haneke se joue, assez cruellement, du spectateur et de l'aspect manipulateur inhérent à ce style de récit. L'humour, encore une fois très sombre, se trouve aussi dans les personnages des sadiques, notamment à travers Paul et ses bavardages cyniques commentant, de manière détachée, l'évolution du récit. Difficile alors de ne pas penser un peu à Scream (1996) de Wes Craven, mais en nettement plus extrémiste. Haneke emploie alors des moyens cinématographiques assez variés pour mettre le spectateur très mal à l'aise, allant de l'horreur hors-champs (le meurtre au couteau) comme dans Massacre à la tronçonneuse, à des longs plans fixes oppressants, évoquant plutôt Bergman (La source (1960)...). Et souvent, il y arrive très bien ! A ce niveau-là, il faut reconnaître que Funny games supporte une comparaison avec La dernière maison sur la gauche, par exemple, même si il est loin d'atteindre l'intensité dans l'horreur de Salo ou les 120 journées de Sodome ou de Massacre à la tronçonneuse. L'ensemble est peut-être un peu inégale, Haneke ayant ménagé de longues plages de calme, sans doute pour laisser le spectateur souffler un peu entre deux séances de torture.

Pourtant, Funny games est un film dont la volonté démonstrative est si envahissante qu'il n'est pas possible de l'aborder comme un thriller, plus ou moins original, ou une représentation simple et honnête de la brutalité humaine : ce film n'existe que pour être le véhicule d'un discours sur la violence. Malheureusement, la réflexion est trop courte pour convaincre, et la manière de l'imposer est trop manipulatrice et malhonnête pour emporter une quelconque adhésion. Après Funny games, Haneke allait tourner Das schloss (1997), puis Code inconnu : récit incomplet de divers voyages (2000) avec Juliette Binoche, qui reçoit un accueil très tiède. Par contre, La pianiste (2001), récit violent d'une liaison sado-masochiste avec Isabelle Huppert, triomphe à Cannes, même si il ne reçoit pas la palme d'or.

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oui... mais
■ Jolinard
Entièrement d'accord, cependant il faut reconnaitre au film certaines qualités dans la mise en oeuvre de certaine théorie, certe discutable mais qui sont toujours utilisée de nos jours dans les discours sur la violence télévisuelle. Ainsi, l'identification du téléspectateur est particulièrement bien démontrée. La théorie estime que tout spectateur s'identifié non pas à un mais à plusieurs personnages d'un film et que dans la cas d'un meurtre, il s'identifiera autant à la victime qu'au meurtrier (ce qui met par terre l'argument que l'on retrouve sur la K7 de Massacre à la tronçonneuse, laquelle estime qu'aucune identification aux tueurs n'est possible). Hanekke va faire naitre dans le point de vue du spectateur une véritable haine pour la victime en enlaidissent entre autre la mère et va faire naitre un désir de la voir se faire tuer, la mort de celle-ci nous laissant même béa tellement elle est simple et silencieuse.
oui... mais (2)
■ jolinard
En fin de compte, le film tire sa renommé et sa valeur que pour la mise en pratique de théorie psychologique et philosophique. Je ne le considère pas comme un bon film mais je crois que le film mérite une attention particulière pour son foutage de gueule du spectateur qui se voit tout de même responsabilisé par le média dont il use. Le discours du tueur au téléspectateur reste tout de même très surprenant. Il est également important de signaler que des étude récentes démontres qu'un téléspectateur est toujours incapable de différencier de véritables images d'image de fiction. En ccl, désolé pour ce discours ennuyeux, un film à voir si l'on veut avoir une idée d'une tentative de déconstruction du cinéma "traditionnel".
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