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La femme de Shigehura, un homme travaillant dans la production de programmes audiovisuels, meurt d'une maladie. Sept ans plus tard, Shigehura décide de chercher une nouvelle épouse. Pour ce faire, il vient assister à un casting pour le recrutement d'une actrice dans un film...



Audition est le premier film du japonais Takashi Miike à sortir en France : pourtant, ce réalisateur a déjà une longue carrière derrière lui. Il commence par travailler auprès du réalisateur Shoei Immamura (double palme d'or à Cannes pour La ballade de Narayama (1983) et L'anguille (1997)), dont il est l'assistant sur L'empereur des bordels (1987) et Pluie noire (1989). Puis, Miike commence à réaliser des œuvres pour la télévision et la vidéo, avant de parvenir à tourner Shinjuku Triad Society (1995), son premier long métrage pour le cinéma. Il fait alors preuve d'une productivité assez spectaculaire, alignant, tous formats confondus, plus de quarante films en douze ans. Il se fait remarquer avec Dead or alive (1999), un film d'action et, surtout, avec Audition, adaptation d'une oeuvre de Ryu Murakami, écrivain très populaire au Japon, et, par ailleurs, réalisateur (Tokyo décadence (1999)). Le rôle de Shigehura est tenu par Ryo Ishibashi (vu récemment dans Kids return (1996) et Aniki, mon frère (2000) de Takeshi Kitano...), tandis que la jeune Asami est jouée par Eihi Shiina, qui est surtout connue pour sa carrière de top model.
Par sa construction narrative, Audition se divise nettement en trois parties distinctes. Le premier tiers du métrage nous présente, de façon pudique, le décès de l'épouse de Shigehura, puis sa vie avec son fils. Encouragé par ce dernier, ce veuf va chercher à trouver une nouvelle compagne. Il la veut sérieuse, travailleuse, indépendante intelligente et belle. Pour mettre la main sur la perle rare, il va monter un casting avec un de ses amis producteur, prétextant la recherche d'une actrice pour une oeuvre de fiction. C'est à cette "audition" que Shigehura va rencontrer Asami, incarnation parfaite de son idéal féminin. Toute cette partie du film constitue une comédie romantique douce-amère, rendue avec sobriété et finesse ; la réalisation discrète (mais élégante) se met avant tout au service des excellents interprètes, de la description des personnages et du propos mélancolique et humaniste du récit. On est alors dans un cinéma japonais intimiste et sensible, plutôt proche des œuvres d'Imamura ou de Yasujiro Ozu (Le goût du saké (1962)...), voire, par moment, de la série de dessins animés Juliette, je t'aime !

Pourtant, par un habile glissement, Audition va progressivement devenir plus ambiguë et jouer sur les incertitudes planant autour du personnage apparemment si parfait d'Asami. Par des plans allusifs (Asami attendant à côté de son téléphone...) et des silences étranges, cette jeune fille va paraître de plus en plus étrange et mystérieuse au spectateur, si bien que le métrage va se changer en un thriller psychologique à la Hitchcock (on pense à Soupçons (1941), et surtout à Sueurs froides (1958) pour l'étrange et fascinant personnage féminin). La mise en scène va multiplier les signes indiquant que Shigehura est en train de se faire prendre dans un piège (il est filmé derrière un filet, isolé par une vitre au restaurant ; des formes de serpents s'enroulent au chevet du lit dans l'hôtel...). Le style de la réalisation va se faire de moins en moins réaliste, certaines séquences optant délibérément pour une esthétique insolite héritée du cinéma d'épouvante (l'école de danse...) ou du thriller (l'hôtel...). Petit à petit, Shigehura, chasseur assez inoffensif, va devenir une proie.

Enfin, le film se conclut par sur une apogée assez horrifiante, valant à elle seule une solide interdiction au moins de 16 ans à Audition en France. Le récit vole en éclat et ne se plie plus à aucune logique narrative (les secrets d'Asami sont révélés par des flashs sans véritables justifications, l'intermède dans l'hôtel n'est pas vraiment justifié...). Shigehura n'est plus la seule la victime d'un cruel jeu du chat et de la souris : Miike se livre à une manipulation jouant très habilement le chaud et le froid et assumant clairement l'artificialité des moyens dont use le cinéma pour faire monter le suspens et la tension (la séquence-surprise de l'hôtel fait penser à la scène de la télécommande dans Funny games (1994) de Haneke). On plonge alors dans le domaine d'un fantastique acide et déstabilisant, proche de Lynch (Eraserhead (1977)...) et surtout de Bunuel (Le charme discret de la bourgeoisie (1972)...). D'ailleurs, on retrouve l'humour noir et absurde cher à ce réalisateur espagnol dans une scène de torture d'anthologie, à la fois insoutenable et hilarante (en matière d'humour acide, Miike avoue d'ailleurs être un admirateur des Monty Python).

D'autre part, Audition trace les portraits d'Asami, à la fois telle qu'un homme la perçoit (au début du métrage) et telle qu'elle est en réalité. Oscillant entre l'oie blanche et la mante religieuse, elle incarne, selon les scènes, divers aspects de la femme fantasmée et idéalisée, amoureuse modèle ou punisseuse sadique détruisant la liberté et la capacité de créer chez l'homme (la punition est appliquée pour la première fois à un danseur) dans des rituels savamment élaborées et un brin fétichistes. En présentant les multiples facettes d'une Asami protéiforme et dissimulatrice vues par un homme qui la convoite ardemment, Miike rapproche Audition de Cet obscur objet du désir (1977) de Luis Bunuel, dans lequel une jeune femme (Carole Bouquet) fait tourner en bourrique un homme mûr (Fernando Rey) en s'offrant et en se refusant alternativement à lui. Asami a aussi été martyrisée par son entourage, persécutée par une société essentiellement masculine qui veut la forcer à se plier à ses fantasmes et à son imaginaire. Shigehura est un brave homme, certes, mais c'est un homme. Et par conséquent il va se retrouver entraîner dans une éprouvante guerre des sexes.

Toutefois, il faut tout de même regretter que, par moments, la progression du récit soit parfois un peu ennuyeuse. Pendant les deux premiers tiers du film, on se surprend parfois à consulter sa montre ou à taper du pied d'impatience. Le rythme lent du récit aurait sans doute gagner à être un peu mieux maîtrisé. Toutefois, il faut bien voir que certaines plages de calme servent délibérément à favoriser l'efficacité de certains effets de surprise.

Audition
, par sa richesse thématique, l'élégance de sa réalisation et sa manière subtile de glisser d'un genre à l'autre est une indéniable réussite. Il sera le premier gros succès de Miike au Japon, et sera présenté, avec succès, dans divers festivals à travers le monde. Son réalisateur est désigné comme un nouveau David Cronenberg (Crash (1996)...) (pour la description des perversions sexuelles) ou comme un nouveau Shinya Tsukamoto (Tetsuo (1988)...) (pour la violence et la peinture d'une société japonaise en pleine décadence). Pourtant, étant donné son caractère violent et son mélange des genres étonnants, Audition a mis un certain temps à sortir au cinéma en France. Il n'y est distribué qu'en 2002, et une seule copie est proposée sur Paris durant sa première semaine d'exploitation. Néanmoins, la critique française lui est quasi-unanimement favorable.

Bibliographie consultée
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J'ai vomi... :)
■ Vonv
Heureusement que j'ai lu la critique de Manu car sinon j'aurais balancé un "caca beurk"...

En effet, c'est glauque, c'est zarb', un peu asseptisé comme certaines productions orientales : froid, difiicile de comprendre les personnages...

D'un point de vue réalisation, c'est bien fait et cela en fait un film vraiment prenant qui secoue plus qu'on ne le penserait. On a l'impression de sombrer dans la folie du réalisateur, on perd ses repaires et là - splash - ça vire au gore mais alors bien gore...

Ca ne restera pas mon film fantastique-horrifique-gore préféré, je lui préfèrerai The Ring mais c'est à voir... rien que pour se secouer les tripes !
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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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