TocCyclopédie ■ Époques

Paul Lavond s'évade du bagne de l'île du Diable où il a été emprisonné à tort suite aux manoeuvres de banquiers malhonnêtes. Dans sa cavale, il est accompagné par Marcel, un savant fou ayant mis au point un système permettant de rétrécir les animaux et les êtres humains au sixième de leur taille normale. Marcel meurt rapidement après la pénible évasion, mais Paul rentre à Paris avec son invention, bien décidé à l'utiliser afin de se venger des gredins responsables de son injuste emprisonnement.



Les poupées du diable a été tourné par Tod Browning (Dracula (1931),La monstrueuse parade (1932)...) juste après La marque du vampire(1935), un film mêlant épouvante et mystère interprété par Bela Lugosi. La marquedu vampire ne connaît qu'un petit succès, mais c'est pourtant un point positif pourBrowning qui venait de traverser une période assez difficile : ses deux précédentsfilms, La monstrueuse parade et le drame Fast workers (1933) avient étéde couteux échecs commerciaux, et son projet du film Louisana Lou, au scénarioécrit par le prix Nobel de littérature William Faulkner, lui a échappé pour êtreconfié à George B. Seitz (le métrage s'appellera Lazy river (1934)). Le petitsuccès de Le marque du vampire l'encourage donc à revenir au cinéma del'étrange, genre avec lequel il avait connu ses plus grands succès (Le club destrois (1925) et L'inconnu (1927) avec Lon Chaney, Dracula avecLugosi...). En s'inspirant du roman Brûle, sorcière, brûle de Abraham Merritt,il rédige alors un nouveau scénario : The witch of Tumbuktu, dont le récit sedéroule entre la Guyane et Paris et met en scène une intrigue impliquant la sorcellerievaudou. Il est aidé dans ce travail de rédaction par Guy Endore (auteur du célèbreroman Le loup-garou de Paris et co-scénariste de La marque du vampire)et même par Erich Von Stroheim (réalisateur de grands classiques hollywoodienstels que Folies de femmes (1922) ou Les rapaces (1925), mais que lesstudios ont mis au placard au début des années 1930). Ce nouveau projet fantastiquesemble donc bien parti pour Browning. Néanmoins, après une première moitié des années1930 qui a consacré le triomphe de l'horreur hollywoodienne (Dracula, Frankenstein(1931) de James Whale, King Kong (1933) de Schoedsack et Cooper... parmi de trèsnombreux autres chef-d'oeuvres), la censure va se réveiller. Aux USA, le code Hays,destiné à limiter la représentation de la violence et de l'érotisme au cinéma, estappliqué de plus en plus scrupuleusement à Hollywood à partir de 1934 ; surtout, laGrande-Bretagne, gros marché pour le cinéma américain, voit sa censure se montrer trèssévère avec les produits horrifiques hollywoodiens. Browning est alors prier de révisersa copie et on le contraint à retirer de son script toute référence aux rites vaudous.Il les remplace donc par les expériences d'un savant fou. Pour ce film, qui serafinalement appelé The devil doll (Les poupées du diable en français),Tod Browning retrouve le grand acteur Lionel Barrymore (L'île au trésor (1934)de Victor Fleming, La vie est belle (1946) de Frank Capra, Duel au soleil(1946) de King Vidor, Key Largo (1948) de John Huston...) qu'il avait déjàdirigé à plusieurs reprises (La morsure (1927), La marque du vampire...).On reconnaît aussi Maureen O'Sullivan, actrice devenue mythique pour avoir été la Jane deTarzan l'homme singe (1932) dans la série des films de la MGM mettant en scènece héros sous les traits de Johnny Weissmuller.
Le récit de Les poupées du diable est assez complexe. Il met en jeu deséléments issus de l'épouvante et du roman policier. Le français Paul Lavond est ruinépar des banquiers indélicats qui, en plus, le font accuser d'un forfait qu'il n'a pascommis. Le pauvre homme est envoyé en Guyane, dans le sinistre bagne de l'Île du Diable,dont il parvient néanmoins à s'échapper avec un dénommé Marcel. Ce dernier est enfait un savant fou, dont la femme, Malita, poursuit les expériences à quelques lieues de là, dansun laboratoire construit en pleine jungle. Marcel est parvenu à mettre au point unsystème capable de réduire un animal ou un être humain au sixième de sa taillenormale. Hélas, ce procédé a un petit inconvénient : l'homoncule ainsi créé estdénué de toute volonté et de toute intelligence autonome. Toutefois, il peut êtredirigé par la volonté d'un être humain normal. Dès lors, les personnes réduites àune taille minuscule par cette technique deviennent des marionnettes contrôlées par lavolonté de Marcel et de sa compagne démente. Marcel envisage d'employer cetteméthode pour réduire toute l'humanité à l'échelle 1/6ème et devenir ainsi maître d'unmonde devenu "parfait". Las ! Le chercheur exalté meurt d'épuisement quelques temps aprèsavoir fait toutes ces révélations à Paul Lavond ! Celui-ci promet alors à la veuve duscientifique de réaliser le plan de son cher Marcel si elle accepte del'accompagner à Paris et de l'aider à se venger des troisbanquiers responsables de sa ruine et de son déshonneur...


Comme son titre l'indique, Les poupées du diable a pour argument fantastique laprésence d'êtres humains miniaturisés. On trouvait déjà des curiosités semblablesl'année précédente dans une superbe séquence de La fiancée de Frankenstein (1935)de James Whale, au cours de laquelle le sinistre docteur Pretorius montrait fièrement auprofesseur Frankenstein les petits personnages vivants qu'il avait réussi à créer exnihilo. Toutefois, il s'agit d'une scène isolée dans ce film. Un peu plus tard,toutefois, Ernest B. Schoedsack (Les chasses du comte Zaroff (1932), KingKong...) réalisera Dr. Cyclops (1940) dans lequel un savant fou réduitquatre personnes à la taille de jouets. De tels sujets reviendront avec les années 1950,grande époque de la science-fiction américaine, avec ses mutations nucléaires : onpense bien sûr aux aventures de L'homme qui rétrécit (1958) de Jack Arnold,dans lequel un humain, soumis à l'influence néfaste d'un nuage radioactif, voit sa tailledécroître sans cesse... Dans Les poupées du diable, ce thème est traité avecune petite originalité : les personnes ainsi rétrécies perdent toute intelligence ettoute autonomie. Ils ne sont que des instruments soumis à la volonté de leurscréateurs. Leur sort est donc d'autant plus terrible et peu enviable !


Ses personnages miniaturisés vont donc servir à Paul Lavond pour accomplir sa vengeance.La séquence la plus fameuse de Les poupées du diable est sans doute celle aucours de laquelle Lachna, miniaturisée, commet un cambriolage et assassine un des ennemisde Lavond. A l'aide de trucages très bien réglés (superpositions) et de décorsconstruits à une échelle démesurée, Browning propose une scène fantastique tout àfait admirable. L'argument de départ, très imprégné de science-fiction (un savant fouveut utiliser son invention pour dominer le monde), se trouve donc rapidement détournépour donner lieu à une histoire de vengeance, dans laquelle la police française estincapable d'élucider les crimes et les disparitions mystérieuses.Pour passer inaperçu, Paul Lavond, recherché par la police après sa fracassanteévasion du bagne, a l'idée farfelue, mais efficace, de se faire passer pour une vielleet inoffensive marchande de jouets, appelée madame Mandelip, et travaillant dans unediscrète et charmante petite boutique. Bien souvent, dans les films de Browning, ledéguisement joue un rôle important. Les criminels aiment à se déguiser en des êtresinoffensifs et pitoyables afin d'endormir la vigilance de leur entourage : ainsi, dans lesœuvres de Browning, l'acteur Lon Chaney jouera des malfaiteurs se faisant passer pourun manchot (L'inconnu), pour un brave prêtre paralytique (L'oiseau noir(1926)), ou, tout comme Barrymore dans Les poupées du diable, pour une vieillefemme (Le club des trois : dans ce film, la "vieillarde" promène dansun landau, incognito, un nain cambrioleur !)...


Dans Les poupées du diable les séquences fantastiques ne sont pas extrêmementfréquentes. On est loin de L'homme qui rétrécit de Jack Arnold, successionininterrompue de trucages époustouflants. Ici, ces passages spectaculaires sont mêlésà des moments mélodramatiques, notamment la description des relations complexes de PaulLavond avec sa mère et sa fille Lorraine, qu'il a du abandonner dans la pauvretélorsqu'il a été envoyé au bagne. Lorraine refuse de pardonner à son père, et ne veutpas croire qu'il a été emprisonné pour une faute qu'il n'a pas commise. Il ne fait aucundoute pour elle qu'il ne peut être qu'un vaurien. Paul la rencontrera en sedéguisant en madame Mandelip, sans que sa fille ne se doute que cette fragile vieillefemme est en fait son père, dissimulé sous une mise bien peu orthodoxe. Si on aurait pucraindre que ces séquences dramatiques s'imbriquent mal au reste du métrage, tout celapasse en fait plutôt bien, notamment grâce à la magistrale interprétation de LionelBarrymore, parvenant, sous la défroque de madame Mandelip, à osciller habilement entrele pathétique au cours des passages dramatiques d'une part, et une cruauté assezréjouissante dans les séquences de meurtre d'autre part. Toutefois, le rythme du filmsouffre un peu de ces changements de ton. De plus, certains éléments de science-fictionsemblent un peu poussifs, notamment le personnage de la très exaltée Malita.


On retrouve en tout cas une approche réaliste du fantastique, trait typique de certainesœuvres de Tod Browning (L'inconnu, La monstrueuse parade...). Ilrefuse ici d'avoir recours à des atmosphères délibérément et volontairementétranges, contrairement aux cinémas fantastiques expressionniste (Le cabinet dudocteur Caligari (1920) de Robert Wiene...) ou gothique (que Browning abordatoutefois au cours de certains passages de Dracula ou de La marque du vampire).Ici, le fantastique ne vient pas tant du style de la réalisation, très neutre, que de lafaçon dont le récit et la mise en scène dégagent l'étrange et le mystère deséléments les plus anodins de la réalité. Vous croyez rencontrer une inoffensivevieille parisienne ? Il s'agit en fait d'un redoutable évadé en cavale qui s'esttravesti pour déjouer les soupçons. Vous pensez passer devant la charmante vitrine d'unmagasin de jouets ? Sa réserve cache en fait un sinistre laboratoire où se déroulent desexpériences inhumaines. Votre regard s'attarde sur une poupée représentant une petiteparisienne ? C'est en fait une tueuse miniature prête à accomplir les volontésdémentes de ses maîtres. Un jouet de clown attire votre attention par son allurecoquasse ? c'est à l'intérieur de cette babiole que Paul Lavond a dissimulé les bijouxqu'il vient de voler ! Chez Browning, il n'est pas nécessaire de distordre la réalitépour en dégager le fantastique : il s'y trouve déjà à l'état pur pour celui qui sait laregarder avec les yeux de son imagination grands ouverts.


Les poupées du diable est donc une réussite dans la carrière de Tod Browning,à laquelle on reprochera juste quelques petites hésitations dans le ton. Ce film serarentable, mais les résultats financiers paraîtront insuffisants au patrons de la MGM.Qui plus est, Irving Thalberg meurt en 1936 : ce puissant producteur avait toujourssoutenu Browning dans cette compagnie, y compris lors de la sortie très controversée de Lamonstrueuse parade. Tod Browning réalise encore Miracles for sales (1939),un film se déroulant dans le milieu des prestidigitateurs. Mais il est ensuite renvoyéde la MGM à laquelle il avait pourtant offert bien des succès dans la seconde moitiédes années 1920, grâce à ses nombreuses collaborations avec l'acteur Lon Chaney, lapremière star du cinéma d'épouvante de l'histoire du cinéma américain. Browningquitte alors Beverley Hills et se retire à Malibu. Après la mort de son épouse, ilvivra solitaire et assez amer, tandis que l'histoire du cinéma aura tendance àl'oublier. Il mourra d'un cancer en septembre 1962, au moment même où ses filmscommencent à être redécouverts aux USA, mais aussi en France, avec le travail decinéphiles comme Jean-Claude Romer, qui dédie une étude à son oeuvre dans la revue Bizarrela même année.



Bibliographie consultée :

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