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par Christian Lehmann
(avec la participation exceptionnelle de H.P.L.)


Oh, toi, Gardien des Arcanes retors et sadique, sois satisfait. Tu peux baver d'avance sur le plaisir pervers que tu vas tirer de cette aide de jeu. Elle va devenir le cauchemar des investigateurs pour les siècles à venir...

De la littérature...


L'oeuvre de Lovecraft a été adaptée au jeu de rôle par Sandy Petersen avec un amour et un respect évident de l'atmosphère des nouvelles du Maître. Le concept de Santé Mentale aurait, nous pouvons en être certains, fait pâlir de bonheur l'ermite de Providence. La seule différence visible entre les deux créations est la possibilité de survie accordée aux investigateurs, même si celle-ci est bien minime... alors que la plupart des héros de Lovecraft sont voués dès l'entrée de jeu à la mort ou à la folie au détour de leur aventure... Les puristes critiquent cet écart, nécessaire pourtant à la continuité d'une campagne et à l'étoffe des investigateurs. Les Gardiens trop cruels finissent par décimer, de partie en partie, des pions archétypes, guère plus fouillés que les abrutis qui hantent les séries d'horreur à la Jason, Halloween, etc...
Il est pourtant un autre oubli dans le travail de retranscription de Sandy Petersen (loué soit-il), une donnée fondamentale de l'oeuvre de Lovecraft, issue certainement de sa psychologie tourmentée et de sa peur de l'Autre: l'idée de dégénérescence. Pas seulement une décomposition physique ou un avilissement mental au contact des forces du Mal, mais une tare génétique sans échappatoire possible. Nombre des héros de Lovecraft se rendent compte trop tard, après avoir survécu aux attaques physiques de leurs ennemis, que leur hérédité finit par les vaincre de l'intérieur...
C'est le cas, parmi tant d'autres, du narrateur du Cauchemar d'Innsmouth. Lors d'un voyage dans cette ville de la côte Est des États-Unis. il découvre que les habitants sont en passe de se transformer en Profonds. Cette dégénérescence est le fruit d'une lourde hérédité, le capitaine Obed Marsh, natif d'Innsmouth, ayant ramené de ses périples maritimes quelques femelles qui se sont fondues dans la population locale... Régulièrement, certains habitants, arrivés à un stade de dégradation trop grand, disparaissent dans les eaux où ils vont rejoindre leur famille originelle. Cette coexistence de l'humain et de la bête n'épargnera pas le narrateur. Après avoir dénoncé la ville aux autorités et amené sa destruction par la Marine et l'Armée, il devra se rendre à l'évidence. Sa famille était originaire d'Innsmouth, et il acquérera peu à peu «le masque d'Innsmouth», avant d'aller rejoindre les siens...

« Tout a commencé pour Jason Marsh par ce retour à Boston, une nuit d'hiver 1927, avec Silas Murchison et Tony Cafiosi, sous la neige de décembre. Tout à commencé par cette chambre d'hôtel où les trois investigateurs rescapés du cauchemar de Dunwich avaient décidé de passer la nuit. Abrutis de sommeil, ils s'endormirent sur le lit ou dans les fauteuils, sans prendre la peine de se déshabiller, Jason craignant de revoir en rêve la mort de leurs compagnons. Au lieu de quoi, il fit un rêve étrange et pénétrant... »

Au jeu


Imaginons le cas d'un investigateur choisi au hasard par le Gardien pour porter ce genre de tare génétique... Je vois vos yeux qui s'animent, chers et cruels Gardiens des Arcanes... Il faudra s'assurer que le joueur est suffisamment solide et intelligent pour apprécier la... plaisanterie, et surtout ne pas éveiller sa méfiance. S'il s'agit d'un orphelin, ou d'un personnage sans famille proche, il sera d'autant plus facile de lui inventer une généalogie ambiguë. Mais après tout, une merveilleuse famille italienne bien soudée et unie, n'ayant jamais quitté les faubourgs de Boston, fera aussi bien l'affaire. Boston est un port, et les adoptions ne sont pas faites pour les chiens...
Donc, imaginez que, au détour d'une aventure particulièrement terrifiante, de retour dans son home douillet, notre investigateur commence par être victime de cauchemars étranges. Inutile d'attirer son attention par leur contenu. Il serait dommage de l'amener à voir immédiatement « en rêve de grandes étendues d'eau qui s'ouvraient devant moi, où j'errais sous de gigantesques portiques, dans des labyrinthes de murs cyclopéens couronnés d'algues, en compagnie de grotesques poissons ». En effet, à la différence des héros de Lovecraft, vos joueurs connaissent sans doute leur bestiaire inhumain, et vous risquez de leur mettre la puce à l'oreille bien avant que celle-ci se transforme en branchie... Non, quelques cauchemars saugrenus, peuplés de monstres informes, feront parfaitement l'affaire. Notre investigateur chéri en sera légèrement perturbé, mais ne perdra pas de points de Santé Mentale. En effet, la folie serait une échappatoire trop commode, et il est normal que naisse entre lui et l'indicible un début de... familiarité. Vous vous chargerez, au fil des aventures qu'il traverse, d'introduire à doses homéopathiques quelques gâteries, prodromes à la transformation physique: ainsi l'investigateur manifestera-t-il progressivement un appétit marqué pour les fruits de mer, passera sans doute une partie de ses nuits dans sa baignoire. supportera de plus en plus difficilement le plein soleil. et sera constamment assoiffé. Ne parlons pas de l'odeur corporelle gênante qu'il commencera à dégager, sans toutefois s'en apercevoir. Ces petits riens créeront un malaise entre lui et ses amis, et il est probable que certains d'entre eux commencent à douter de la Santé Mentale de leur camarade. A vous de faire croire à tout ce beau monde que l'investigateur est l'objet d'une série de phobies secondaires à ces expériences traumatisantes qui sont le lot des héros de l'Appel...
L'investigateur lui-même interprétera sans doute les premiers signes de sa transformation comme des signes de folie naissante. A-t-il bien aperçu le miroitement de quelques écailles au moment où il tirait la bonde de sa baignoire pour laisser écouler l'eau?... Est-ce le chat qui a ouvert la porte du frigidaire en pleine nuit pour dévorer deux merlans crus dont seules les arêtes traînent dans la cuisine?...
La transformation physique doit être graduelle, et peut même être réversible, tout au moins au début: écailles qui passeront aux yeux d'un dermatologue pour une ichtyose, rarissime maladie de peau pour laquelle un séjour au bord de la mer pourra être recommandé!!!, ou encore aplatissement des oreilles avec modification progressive du conduit auditif en branchie... Attendez que le malheureux se rende compte de sa situation tout seul. Il y a gros à parier que ce moment à lui seul vous paiera au centuple pour votre patience. Tâchez de vous montrer à la hauteur. Ne dévoilez pas tout d'un bloc. Si l'investigateur veut aller questionner sa vieille maman au sujet de son ascendance réelle, jouez le jeu... S'il tente de découvrir une cure à son affliction, laissez le faire... Il y a peu de chances qu'il en parle à ses collègues, surtout si ses bizarreries ont fini par créer un climat de méfiance peu propice aux confidences. Lorsque votre investigateur aura pris conscience de sa dualité, achevez le tableau. Faites monter la bête en lui, faites qu'il ait faim de poisson vivant, qu'il devienne méchant, violent... Souvenez-vous du personnage magnifiquement interprété par Jeff Goldblum dans La Mouche. Si votre investigateur a une fiancée, ou une femme... votre cruauté n'aura plus de bornes. Mais je vous laisse imaginer ce genre de détails, le contact de sa peau gluante et froide, ses lèvres visqueuses... hmmmm... un régal...
Enfin viendra le moment où la bête prendra le pas sur l'homme: « L'horreur que j'éprouvais au début s'amoindrit de jour en jour: je me sens étrangement attiré par les abîmes sous-marins au lieu de les craindre. Dans mon sommeil j'entends et j'accomplis des choses bizarres et, quand je me réveille, je ressens une formidable exaltation de tout mon être. »

La suite des évènements dépendra essentiellement de vos joueurs, et des relations entre les différents personnages. La paranoïa et la méfiance engendrées par la dégradation mentale puis physique de l'investigateur annihilera-t-elle la pitié de ses anciens compagnons? Lui-même sera-t-il consommé de haine et de jalousie envers leur humanité intacte? Ou bien le souvenir des luttes passées fera-t-il hésiter les protagonistes à commettre l'irréparable et à s'entre-tuer? Quelles seraient alors les conséquences pour les investigateurs? Accepter la monstruosité de l'Autre, n'est-ce-pas le premier pas vers une plus grande compréhension de la cosmogonie qui régit notre Univers? Verront-ils, eux aussi, la lumière? Leur ancien compagnon réussira-t-il à les convaincre de la Beauté de sa nouvelle existence... une immortalité de dévotion aux Vrais Maîtres de l'Univers?...
A vous de jouer, et de laisser vos joueurs écrire eux-mêmes leur épilogue à ce qui ne serait sans cela qu'une manipulation sans intérêt... Quant à moi, je vous laisse. « Je vais préparer la fuite de mon cousin enfermé dans l'asile d'aliénés de Canton, et nous nous rendrons tous les deux à la cité prodigieuse d'Innsmouth. Nous gagnerons à la nage le récif au sein des flots, puis nous plongerons à travers de noirs abîmes jusqu'à la cyclopéenne Y'ha-nthlei aux mille colonnes: là, en compagnie de Ceux des Profondeurs, nous vivrons à jamais dans un univers de merveilles et de gloire. »
L'Appel de Cthulhu 7e Édition est copyright © 1981, 1983, 1992, 1993, 1995, 1998, 1999, 2001, 2004, 2005, 2015 de Chaosium Inc.; tous droits réservés. L'Appel de Cthulhu est publié par Chaosium Inc. « Chaosium Inc. » et « L'Appel de Cthulhu » sont des marques déposées de Chaosium Inc. Édition française par Edge Entertainment.
Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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