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Pendant la seconde guerre mondiale, dans un petit village français, des soldats allemands sont tués par des résistants, et leurs corps sont jetés dans un lac. Dix ans plus tard, ils ressurgissent du lac des maudits sous forme de morts-vivants et sèment la mort.



Après les succès internationaux de Zombie (1978) par l'américain George Romero et de L'enfer des zombies (1979) par l'italien Lucio Fulci, les producteurs italiens se mirent à faire réaliser de nombreux petit films de zombies par des spécialistes du cinéma populaire : La nuit fantastique des morts-vivants (1980) de Joe d'Amato, L'avion de l'apocalypse (1980) d'Umberto Lenzi... En France aussi, ces succès vont donner des idées à une petite compagnie indépendante et familiale : Eurociné, société franco-espagnole fondée en 1957 par Marcus Lesoeur, qui s'est mise à produire, entre autres, des films fantastiques après le bon succès de son L'horrible docteur Orloff (1962) du débutant espagnol Jesus Franco (Les prédateurs de la nuit (1987)...).
C'est ce même Jesus Franco, devenu le spécialiste de l'épouvante chez Eurociné durant les années 1960-70, qui aurait dû réaliser Le lac des morts-vivants. Mais voilà, il ne se présenta pas sur le plateau le jour du commencement du tournage ! En fait il était retenu sur un autre film, ce qui ne surprend guère quand on sait que Franco a tourné sept films cette année-là ! Eurociné a donc appelé à l'aide le réalisateur français Jean Rollin, qui alternait alors oeuvres fantastiques surréalistes sous son vrai nom (Les raisins de la mort (1978), Fascination (1979)...) et pornos alimentaires sous divers pseudonymes. Il accepte sans lire le scénario, qu'il ne verra de toute manière jamais : chaque matin du tournage, le producteur lui explique ce qui va être tourné dans la journée, sans que Rollin ait pu avoir une idée d'ensemble du film qu'il réalisait ! Les acteurs sont essentiellement des étudiants et des amateurs, à l'exception de Howard Vernon (inoubliable officier allemand dans Le silence de la mer (1947) de Jean-Pierre Melville, L'horrible docteur Orloff...), fidèle collaborateur d'Eurociné. On note aussi la présence de la petite Anouchka, alors âgée de dix ans, qui n'est autre que la petite-fille de Marcus Lesoeur. Au passage, notons aussi que l'idée des soldats nazis revenant à la vie sous la forme de zombies à tendance aquatique n'est pas une nouveauté, puisqu'elle avait déjà servi dans Le commando des morts-vivants (1975) de Ken Wiederhorn, avec Peter Cushing.

Ce qui est le plus frappant, et ce qui a rendu si célèbre Le lac des morts-vivants, c'est la sidérante nonchalance technique de sa réalisation. Cela est bien plus du à la modestie du budget qu'à Jean Rollin, qui a fait ce qu'il a pu avec ce qu'il avait. Jugez plutôt : la caméra utilisée était en panne et filmait trop lentement. Il a donc fallu que les acteurs jouent au ralenti afin d'obtenir un résultat normal à la projection ! Cela rend encore plus étrange le jeu des comédiens, déjà peu doués naturellement, et on peut noter des détails incongrus dus à cette "technique" (flammes bizarres, voitures qui passent en accéléré derrière des personnages se déplaçant normalement...). Et que dire des fameux maquillages verts, à peine digne d'une fête d'école primaire, appliqués à la va-vite sur les visages des malheureux zombis : dégoulinant lamentablement lorsque les morts-vivants sortent du lac, il se mêle au faux sang dans une bouillie marron d'une manière particulièrement pathétique lors des plans de morsure. Pour tenter de faire un peu plus riche, on recase quelques petits extraits de vieux films de guerre d'Eurociné, mais le montage en est si maladroit que le procédé ne trompera pas le spectateur le plus naïf. Enfin, par un effet de mise en abyme aussi baroque qu'involontaire, on peut apercevoir de manière très évidente le caméraman dans un miroir de la demeure du maire ! Pour éviter que ce genre de pépin ne se reproduise dans le plan suivant, les techniciens prennent des mesures radicales en couvrant avec une couverture le miroir présent dans le cadre ! Enfin, pour achever de consterner les perfectionnistes, Le lac des morts-vivants n'hésite pas à resservir plusieurs fois le même plan (notamment les zombis errant dans les rues du village) . On pourrait continuer ainsi pendant des heures...

On note que, comme de nombreux films fantastiques d'Eurociné au cours des années 70 (La comtesse noire (1973) de Jesus Franco...), les séquences érotiques et les nudités féminines sont fort nombreuses, et, bien souvent, tout à fait gratuites : on pense notamment aux joueuses de cette équipe féminine de basket (qu'on verra jouer... au volley !) qui, pleines de panache, se mettent nues pour prendre un bain dans le lac des zombies. On remarque parfois une volonté de faire un gros plan sur une blessure béante, peut-être avec une volonté d'obtenir un effet gore, mais les maquillages sont si bâclés que ces tentatives tombent systématiquement à plat. Tout cela ne serait pas grand chose si, en plus, il ne fallait pas subir une narration complètement chaotique et épuisante, parfois incompréhensible, souvent ennuyeuse.

Pourtant... toute cette nonchalance donne à ce film un certain charme ! Le lac des zombies met tellement de bonne volonté à fuir tout ce qui se rapproche du bon goût ou d'une forme quelconque d'académisme et de professionnalisme qu'il en devient sympathique. De plus, certains éléments singuliers de cette oeuvre parviennent à créer par moment une poésie envoûtante. Ainsi, la musique impose son orgue mélancolique et maladif (on pense un peu à Carnival of souls (1962) de l'américain Herk Harvey) et ses explosions expérimentales. Howard Vernon, avec sa diction douce et précise, interprète son rôle avec compétence et même avec une certain entrain. On apprécie aussi la romance entre le soldat allemand et la française qui apporte une certaine douceur bienvenue dans cette oeuvre appartenant à un genre aussi musclé que le film de zombi. Enfin, les paysages campagnards, la forêt verdoyante au cœur de l'été, le lac, les rues du village, le moulin, la maison néo-gothique du maire... parviennent à créer une atmosphère assez belle et très française, qui ne manque ni de charme, ni de singularité.

Mais bon, il ne faut pas exagérer non plus, Le lac des morts-vivants reste un assez mauvais film, notamment à cause d'une histoire particulièrement tordue et inégale. Rollin n'en sera pas très fier puisqu'il le signera sous un pseudonyme (J.A. Laser). Néanmoins, cette oeuvre remporta un petit succès, notamment à l'exportation. Eurociné a donc rapidement produit un film du même genre : L'abîme des morts-vivants (1983) de Jesus Franco.

Voilà pour la fiche. J'en profite pour évoquer un souvenir d'enfance qui m'a profondément marqué. A l'époque de la sortie de Le lac des morts-vivants, nous passions, mes parents, mon grand-frère et moi-même, régulièrement les vacances d'été en Corse. A Sagone, l'affiche de ce film ornait alors une palissade le long de la route qui menait à la plage du golfe. Et cette affiche m'avait absolument fasciné : cette tête de mort avec ce casque allemand, ses mains qui surgissent du lac pour attraper la baigneuse inconsciente... Tout cela a fait forte impression sur le petit garçon de 6 ans que j'étais alors. Puis, grâce à la chaîne du câble Cinefaz, j'ai enfin pu voir, vingt et un an plus tard, cette oeuvre dont la mystérieuse affiche m'avait tant marquée, et qui a sans doute influé sur mon intérêt pour le cinéma fantastique ! Que voulez vous, il y en a qui grandisse traumatisé par un tableau de De Vinci ou par la vision du Parthénon. Et puis il y en a qui sont marqués à vie par une affiche d'une des plus redoutables série Z produites par Eurociné ! ;)

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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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