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Un homme, malheureux dans son travail et dans son couple, se réveille un matin avec un masque blanc à la place de son visage. Il décide alors de se venger des gens qui ont ruiné sa vie : sa femme, son patron, son meilleur ami...



Bruiser est le nouveau film de George A. Romero, maître du fantastiqueaméricain, réalisateur de titres aussi mythiques que La nuit des morts-vivants (1968),Zombie (1978) ou Creepshow (1982). Pourtant, son film précédentremonte à La part des ténèbres (1993) d'après Stephen King, qui a connu desrésultats commerciaux médiocres. Romero se retrouve alors réduit à unequasi-inactivité durant sept années. Il tourne bien pour la publicité (le jeu vidéo ResidentEvil 2) et travaille sur l'adaptation de ce jeu au cinéma, adaptation quisera finalement écrite et réalisée en 2002 par Paul W.S. Anderson. Il parvient enfin àréaliser Bruiser, dont il rédige lui-même le script. Il bénéficie de l'aided'une compagnie de production française, mais doit de contenter d'un budget vraimenttrès bas : seulement cinq millions de dollars. Le film est tourné au Canada, où lescoûts de production sont moins chers qu'aux USA. Le rôle de Henry est tenu par JasonFleming (Un cri dans l'océan (1998) de Stephen Sommers, Arnaques, crimes etbotaniques (1998) de Guy Ritchie...) et Milo, son ennemi juré est incarné par PeterStormare (Fargo (1997) des frères Coen, 8MM de Joel Schumacher...). Onremarque aussi la présence, dans le rôle d'un inspecteur de police, de Tom Atkins (Fog(1980) de Carpenter, Maniac cop (1988) de William Lustig...).
Ce nouveau film de Romero nous raconte l'aventure étrange vécue par Henry Creedlow,employé discret d'un magazine de mode appelé Bruiser ("Brute"),dirigé par Milo, un parvenu tapageur, arrogant et notoirement obsédé sexuel. A travers,ce récit, Romero va évidemment nous dresser un édifiant portrait du mode de vieaméricain (et occidental) actuel. Henry court après le modèle de réussite typiqueimposé par les médias : une belle femme, un métier qui paie bien, une grande maison, uncompte en banque bien rempli, et des loisirs occupés par quelques matchs de tennis avecson meilleur ami. Seulement, ce modèle étant totalement factice, Henry n'arrive à rien.Son compte en banque est toujours vide (grâce à sa femme et à son "meilleurami", chargé de gérer ses finances), et par conséquent, sa belle maison reste àl'état de chantier inachevé. Son employeur et la plupart de ses collègues leméprisent, ou bien l'ignorent carrément. Quand à sa femme, elle le trompe sansscrupule. Pourtant, Henry accepte tout. Convaincu que sa résignation face à cesdéveines est le prix à payer pour accéder à un idéal de vie... qui n'en est pourtantpas un. A force de tout accepter, de se laisser vampiriser par des parasites improductifstournant autour de lui, de se livrer à tous les compromis et toutes les prostitutions, ilfinit par perdre sa propre identité.


En se réveillant un matin, il découvre en effet que son visage n'est plus qu'un masqueblanc et inexpressif. Il n'est pas innocent que Henry travaille dans un magazine de mode,qui vend de l'image, qui monnaie des visages et des apparences. Dès lors qu'il n'a plusde visage, il est clair que Henry n'existe plus, n'a plus de valeur, même pour lui-même.Il va lui falloir reconquérir son identité, son âme. Cela va passer par sa vengeance.Il va lui falloir faire payer tout ceux qui ont gâché sa vie pour retrouver sa dignité.


Comme on le voit, le discours de Romero n'a guère perdu de son mordant depuis Zombie etses morts-vivants américains ahuris qui erraient sans but dans un centre commercial. Ici,Romero s'en prend en premier lieu aux médias. D'abord, il décrit sans tendresse, defaçon caricaturale, le journal de mode Bruiser et son dirigeant, marchandd'images de corps et de visages, que Romero rapproche très nettement d'un proxénètesans scrupule. Mais Romero s'en prend aussi aux idées sur la réussite et le bonheur quevéhiculent et imposent les médias. Cette conception irréaliste, et surtoutprofondément insatisfaisante, de l'épanouissement à travers la possession d'une voitureou d'une grande maison va pousser Henry, un garçon pourtant brave, à accepter tous lescompromis sous le prétexte fallacieux qu'il y a des "règles" à respecter pourmériter cette "réussite". Romero continue donc de dénoncer les tares du rêveaméricain à travers ses récits d'épouvante. Il au passage hommage à certainsclassiques du genre : le masque collé à la peau rappelle le maquillage hors du commun deLes yeux sans visage (1960) de Franju ; un des meurtres rappelle la spectaculairependaison de Suspiria (1977) de Dario Argento.


Le passage suivant comprend beaucoup d'infos sur la fin du métrage, mais il me sembleimpossible de l'éviter pour bien comprendre les intentions de Romero ! Si vous n'avez pasvu le film et que vous comptez le voir, passez tout de suite au paragraphe suivant ! Bruisers'achève sur un bal masqué coloré dans lequel Romero rend très nettement hommageà Le fantôme de l'opéra (1925) et à sa magnifique séquence de bal entechnicolor bichrome, ainsi qu'à la conclusion de Phantom of the Paradise (1974)de De Palma, une autre transposition du célèbre roman de Gaston Leroux. Mais c'estencore à Darkman (1990), excellent film de Sam Raimi mêlant super-héros etépouvante, que Bruiser fait le plus penser (perte du visage, vengeance,références à Le fantôme de l'opéra...). La conclusion est dans les deux casest assez semblable. Ceux qui ont exploité Henry ne cessent de rejeter la faute sur lui,en lui reprochant sa gentillesse et sa faiblesse qui en faisait une victime tellementtentante : Romero n'accepte pas ce raisonnement et considère la révolte de Henry contreson entourage et sa vengeance justifiées, si justifiées même qu'elles ne doivent pasdonné lieu à sa punition en fin de compte (ou à sa mort plus ou moins arrangée commedans le monument d'hypocrisie American beauty (1999)). En cela, l'épilogue dufilm, qui a parfois été critiqué, me paraît tout à fait logique.


Toutefois, on regrette tout de même un certain nombre de défauts dans Bruiser.Il n'est pas inexact de noter que la réalisation, (limitée, rappelons-le, par un trèsfaible budget) est assez fade. Les scènes de meurtre manquent vraiment de tonus(notamment la dernière). On regrette aussi que le trait caricatural soit trop appuyé(Milo particulièrement), notamment à cause du cabotinage assez envahissant de PeterStormare. Enfin, on ne peut manquer de signaler quelques lenteurs embarrassantes,notamment dans la première moitié du film.


Bruiser n'est donc pas un film parfait, et on regrette que sa réalisation nesoit pas plus nerveuse et rigoureuse. Il n'en reste pas moins une oeuvre d'une trèsgrande intégrité. Ce n'est pas encore aujourd'hui que Romero se vendra aux plus offrants! Toutefois Bruiser va souffrir d'une distribution quasi-confidentiel. Aux USA,il est publié directement pour le marché vidéo. Les Français peuvent donc s'estimer heureuxde le voir sortir en salles, hélas dans un circuit extrêmement réduit (une copie pourParis !) et en plein milieu du mois de juillet, deux ans après l'achèvement du film.



Bibliographie consultée :

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Merci à Monsieur Sandy Petersen !
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