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Richard Upton Pickman, peintre et goule.
Hagan Wilson, peintre et fou.
Géricault, peintre

Dans la nature il n'y a pas de paysage, le paysage est une réalité culturelle. On a un territoire, et par artialisation on obtient un paysage. Dans la réalité il n'y a pas de visage non plus. On a une tête, et par artialisation on obtient un visage. Idem pour le nu, nudité => artialisation => nu.

On va pouvoir parler d'esthétique de la disparition et de ses multiples modes de disparitions. Dans cette esthétique, on montre ce qui a disparu, ou les traces, ou encore ce qui pourrait disparaître. Chez l'iconoclaste c'est la destruction totale de l'image, on ne garde rien, pure abstraction, rejet absolu de la figuration. Ici, quelque chose doit être sauvé de ce qui va disparaître, c'est le salut de ce qui va disparaître (ou a disparu), c'est une idée chrétienne.
Disparition des corps, le cadavre met du temps à se décomposer, il est encombrant. Comment faire partir les morts ? Y'a-t-il une stricte séparation entre les morts et les vivants ? On va mettre en valeur les restes, les cadavres scénographiés. Saint-denis et sa collection de gisants.

Andres, Serrano (1950,-), La Morgue (1992)
Exercice académique photographique du cadavre scénographié. Serrano s'inscrit dans la tradition décorative, par les contrastes de couleurs de putréfaction, le plan rapproché, de la photo fragmentée. Cadavérographie ? Il met de l'idéal dans la vulgarité du cadavre. Avant, on ne cherchait pas trop à escamoter les morts. On avait le croque-mort pour pouponner le cadavre, on avait la belle mort en famille. Aujourd'hui c'est l'hosto. On cherche à se débarrasser vite fait du mort. Serrano réintroduit la mort et nous y met au plus près. Ce sont des morts anonymes, souvent sans visages, pas de drame d'individualités. La seule communauté, c'est celle des morts. La légende indique la cause de la mort, naturelle, accidentelle, suspecte. Des morts ordinaires, toutes connes. C'est un constat, genre méditation sur la mort. Souviens-toi que tu es mortel. Memento mori.

Théodore Géricault (1791-1824)
Morceaux anatomiques (titre moderne), Etude de pieds et de main (titre ancien), 1817-1819.
Dans cette œuvre attribuée à Géricault, car rien n'est sûr, les morceaux de corps, comme chez le boucher, sont agencés comme il faut, de façon harmonieuse. Ici, l'étude est élevée au rang même de genre, de tableau, le produit fini. Confusion de la hiérarchie des genres qui précède Courbet. Volonté de Géricault d'avoir des tableaux complets. On évacue le corps entier, morceaux tranchés comme absence de corps. Pourquoi Géricault a-t-il fait ça ? Manque de sens, pas de genre, des morceaux de cadavres. Le manque de sens est compensé par la présence de la peinture. Il oppose le détail pictural au détail iconique (ou photographique). Le détail iconique c'est ce qui fait sujet, représentation, pousse la ressemblance jusqu'au bout. Le détail pictural, c'est juste la matière picturale, la peinture qui a été modelée par le travail pictural. Ces fragments de Géricault sont des fragments picturaux en fait. La fascination pour le détail iconique du cadavre annule la vraisemblance de la représentation et ne laisse apparaître que la peinture, le détail pictural, juste la matière. Géricault détourne l'imitation de sa fonction mimétique.
Les peintres faisaient des études d'anatomie et assistaient à des dissections avec des médecins pour pouvoir représenter le corps humain. Rembrandt, The Anatomy Lesson of Dr. Nicolaes Tulp (1632).Savoir du corps. Pour représenter toutes les scènes de supplices dans la bible. Chez Géricault c'est la banalisation du supplice, au lendemain des tueries de la révolution, guerre napoléonienne. La mort a perdu son aura.
Mais à cette époque émergeait aussi le culte de la mort, la statomanie. On faisait plein de statues au 18ème siècle pour n'importe qui, les nouveaux cimetières, les portraits de morts. Culte laïc des morts. L'Eglise catholique était contre ce culte qu'elle combattait "au crucifix". Laïcisation qui reste religieuse, c'est paradoxal.


Francisco de Goya (1746-1775)
Goya débarrasse, avant Manet, la nature morte de son caractère symbolique appuyé, littéraire. Composition avec des morceaux de chair animale. Nature morte à la tête de mouton (1808/1812). Exempt d'arrangement décoratif, harmonieux. Plutôt jardin anglais. Goya peint les morceaux de viande comme si le hasard les avait disposé. Le mouvement des morceaux de viande est le fruit d'une composition minimale. Goya rompt aussi sur le fait que l'œuvre n'engage pas les sentiments par la symbolique mais au premier degré. Caractère pathétique.

Voir en lien avec Le Boeuf écorché (1655) de Rembrandt (1606-1669) objet des plus vulgaire dans une lumière magnifique, comme l'énergie de la vie dans le mouvement des pattes, et la carrure bombée, surtout au Louvre c'est mieux, un amas de matière picturale, encore travail du détail pictural, luxuriance de la matière.

Géricault avec Etude de pieds et de main cherche à préserver l'empreinte de la vie. Serrano enregistre un moment éphémère des couleurs changeantes du début de la putréfaction. Géricault et Rembrandt montrent des morts-vivants, chez Goya il n'y a pas de mouvement, il y a une tête de mouton, un œil, c'est ici l'œil qui continue de fixer. L'œil dégoûté qu'on le bouffe car les pièces de viandes sont appétissantes, mais aussi horribles, il y a presque une pulsion cannibale. Carnivore, un rouge sang, pure qualité, propriété physiologique de la peinture, la couleur. Idem chez Serrano, pâte et faire-pictural. Chez Goya, l'humain dans la viande animale (œil). Géricault, lui, montre l'animal dans l'humain. Tout ce qui dans la chair relève de la viande. Gros plan sur des restes sans aucune symbolique, métaphore. Géricault n'a pas fait ça pour documenter Le radeau de la Méduse (1817-1818) mais pour chercher à vivre les sentiments des naufragés, l'horreur de cet évènement où certains se firent anthropophages. Géricault a travaillé à partir de réels morceaux d'anatomie humaine qu'il pouvait se procurer auprès d'asiles ou d'hôpitaux, la température hivernale pouvant permettre de les conserver jusqu'à un stade avancé de décomposition. Dans ces Morceaux anatomiques, les trois membres sont disposés dans un espace uniforme et éclairé, un clair/obscur très caravagesque. Un tissu enveloppe les fragments comme on arrange les poulets, relief sculptural par effet d'échelle. Suspend le caractère cruel des débris humains. Le bras se tend vers le regardeur et exprime l'étreinte, entrelacement érotique des membres. On peut facilement imaginer des vivants qui s'embrassent, on peut faire de l'érotique avec de la barbaque. Lien entre érotisme et mort. Le regard subjectif anime les morceaux de cadavres, il en fait des vivants, on a l'impression qu'ils baisent ensemble.
Géricault fait une autre toile sur laquelle il peint la composition par derrière. Il dévoile la mise en scène, les membres tronqués. Le tissu dénude la plaie et présente sur un mode démonstratif les morceaux humains. Lors d'une exécution à la guillotine, le bras du bourreau présente la tête du supplicié. Chez Géricault, le linge présentatif les présente comme des morceaux de viande. Toute transcendance est absente ici, c'est des deux la version la plus matérialiste. Ce qui dans l'homme relève de l'animal. Peinture sans sujet avec seul le motif du démembrement. Géricault avait fait des dessins d'anatomie humaine, mais ces fragments n'ont rien à voir avec les dessins. Il a apprit cette tradition pour la mettre à mort ; il faut toujours mettre à mort ce que l'on a apprit.
Géricault exhibe également deux têtes coupées. Têtes de suppliciés, moins contradictoires que les membres coupés. Il y a déjà eu des thèmes historiques dans la peinture avec des têtes coupées. David avec la tête de Goliath (1610). Le Caravage représente la tête de Goliath sur un fond noir, encadré par le corps et le bras de David, tableau dans le tableau. Méduse (1592-1600). Ou encore Le miracle de Saint Just (1639).
Les deux têtes de Géricault montrent deux moments de la mort. La tête de femme sur une pièce de draps peut donner une impression de repos, de sommeil. La tête de droite, de l'homme est horrible, yeux et bouche ouverts, comme le passage même de la vie à la mort. Géricault connaissait peut être les travaux du chirurgien écossais John Bell (1763-1820).
C'est à cette période qu'apparaît en médecine la pathologie, Xavier Bichat (1771-1802) médecin biologiste et physiologiste propose une méthode consistant à retrouver sur le cadavre le processus morbide d'une maladie. On est ici proche de Serrano, Géricault cherche l'empreinte psychique du vivant dans la matière morte, voir le processus de décomposition.
Géricault connaissait les têtes coupées des guillotinés, après la Terreur, l'expérience de cette scène était banale, on guillotinait à tour de bras, pour un oui ou pour un non. Voilà comment Géricault a pu morceler de façon si radicale le corps humain, comme de la boucherie. La guillotine est l'ancêtre du photomaton.
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