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Le détective privé Phillip Lovecraft travaille à Hollywood, dans les années 50, alors que la pratique de la magie noire y est courante. il est contacté par une actrice qui le charge de surveiller son mari, un producteur, qu'elle soupçonne d'être infidèle. Pendant ce temps, un sénateur, Larson Crockett lance une campagne contre l'usage de la magie dans le milieu du cinéma..



La chaîne du câble HBO décida de donner une suite à Détective Phillip Lovecraft (1991) de Martin Campbell avec ce Chasseur de sorcières. Il s'agit donc encore un téléfilm. Il bénéficie pourtant d'un générique impressionnant, qui évoque plus une oeuvre pour le cinéma qu'une production pour le câble. Le réalisateur est Paul Schrader (Hardcore (1979), La féline (1982), Mishima (1985)...), qui avait alors du mal à imposer ses projets à Hollywood. Lovecraft est interprété par Dennis Hopper (Easy rider (1969), Apocalypse now (1978) de Coppola, Blue velvet (1986) de David Lynch...), qui remplace donc Fred Ward. Son adversaire est joué par Julian Sands (Warlock (1989), Le fantôme de l'opéra (1998) de Dario Argento...). La superbe photographie est réalisée par le français Jean-Yves Escoffier (Les amants du Pont-Neuf (1991) de Leos Carax, The crow, la cité des anges (1997)...), qui faisait ses premiers pas à Hollywood, et la musique est composée par Angelo Badalamenti (Twin Peaks, fire walk with me (1992), La cité des enfants perdus (1995) de Carot et Jeunet...) en personne.

Pour commencer, dissipons tous malentendus : à part le nom de son personnage principal, il n'y a rien de vraiment lovecraftien dans cette séquelle de Détective Phillip Lovecraft. On n'y trouvera donc plus de Necronomicon ou d'invocation de grands anciens. Apparemment, l'univers cthulien n'a guère motivé Schrader. Ce dernier a exigé de nombreux remaniements dans le scénario, retirant notamment des séquences d'effets spéciaux et d'action. Pourtant on retrouve l'excellente idée du mélange de film noir et de sorcellerie qui faisait une grande part du charme du premier volet.

Pour Schrader, cette intrigue est avant tout le prétexte à réaliser un portrait amer et agressif de Hollywood et de son histoire. On croise donc des starlettes arrivistes et des producteurs ignares et répugnants, qui ramènent à la vie Shakespeare (d'une manière rappelant L'affaire Charles Dexter Ward de Lovecraft), afin de lui faire rédiger des scripts standardisés (ce qui évoque les années passés à Hollywood par William Faulkner, prix Nobel de littérature). Les comédiens utilisent la magie pour améliorer leur apparence et se plier aux canons standardisés de la beauté hollywoodienne, de la même manière que les acteurs actuels le font avec la chirurgie esthétique. Tout cela fait beaucoup penser à Barton Fink (1991) et sa peinture kafkaïenne de l'après-guerre à Hollywood.

D'autre part Schrader, à travers le portrait du sénateur Crockett, s'en prend à l'hypocrisie puritaine de la classe politique, toujours prompte à accuser Hollywood d'être la cause de la décadence morale de la société américaine. Ce personnage renvoie évidemment au sénateur Mccarthy, tristement célèbre pour avoir orchestré à Hollywood, de 1950 à 1954 , l'épisode de la "chasse aux sorcières" (auquel le titre de ce film fait expressément référence) : les réalisateurs, acteurs et techniciens sympathisant de trop près avec la cause communiste se voyaient mis sur une liste noire, ce qui les empêchait de trouver du travail, et les contraignaient à la pauvreté ou à l'exil. Tout cela s'était fait dans une atmosphère malsaine de suspicion et de délation. Mais Schrader s'en prend aussi, plus largement, à la manière dont les hommes politiques américains, et autres autorités morales et religieuses, désignent régulièrement, de manière démagogique et hypocrite, Hollywood comme une cause et un symptôme d'une "déliquescence morale" de l'Amérique : on pense alors aussi bien aux campagnes amorcées par le Vatican au début des années 30, qui ont abouti à la mise en place du ridicule code Hayes, ou aux associations familiales républicaines conservatrices qui, dans les années 80, à force de lobbying, ont renforcé de manière drastique le poids de la censure du MPAA sur les films fantastiques. A ce titre, la fin du meeting de Crockett, lorsque celui-ci est victime d'un sortilège, mérite d'être expliquée : le sénateur tombe au sol, et un personnage hirsute et hurlant sort de son corps, à la manière d'un improbable alien, puis insulte copieusement le public, en les traitant d'hypocrites et en se moquant des "vertus" américaines. En fait, ce personnage est l'acteur Eric Bogosian (l'interprète du sénateur Crockett) lui-même, satiriste contestataire et réputé, qui se produit dans des one-man show très politiquement incorrect aux USA. Grâce à la liberté qu'on lui a laissé sur ce projet, Paul Schrader a donc pu fournir une oeuvre politiquement forte et cohérente, qu'on peut rapprocher d'Invasion Los Angeles (1988) de John Carpenter.

Dans l'ensemble, la réalisation et la photographie, inspirée par les peintures de Edward Hopper, sont très raffinées et élégantes, et aboutissent à un résultat plus satisfaisant que les téléfilms habituels, ou que Détective Philip Lovecraft. Le rythme est assez lent, mais le récit est néanmoins très solide et n'ennuie pas le spectateur. Pourtant, l'ensemble paraît parfois lourdement statique et bavard, surtout si on le compare aux meilleures scènes de Détective Philip Lovecraft (le début et le dénouement). L'interprétation est aussi un peu inégal : si Julian Sands est parfaitement convaincant en ignoble sorcier, Dennis Hopper paraît moyennement concerné par les aventures qu'il traverse, et nous fait regretter le sympathique Fred Ward.

Moins nerveux et sympathique que Détective Philip Lovecraft, Chasseur de Sorcières est néanmoins une oeuvre très intéressante, moins inégale que son prédécesseur et mieux réalisée, proposant un discours assez mordant et intransigeant sur la société américaine et Hollywood.

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