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Une jeune femme, Danielle Breton, invite un homme à passer la nuit chez elle. Le lendemain matin, il se rend compte qu'elle partage son appartement avec sa soeur jumelle, Dominique Breton...



Après la sortie de sa comédie Get to know the rabbit (1972), Brian De Palma se réalise de Soeurs de sang, un thriller sanglant à connotation fantastique. On le considère en général comme le véritable commencement de la carrière de Brian De Palma, inaugurant une série de thrillers et de films fantastiques qui s'étalera jusqu'à Body double (1984). Il s'agit déjà d'un hommage à Alfred Hitchcock, et De Palma recrute, pour réaliser la musique de cette oeuvre, son fameux compositeur Bernard Herrman (Sueurs froides (1958), Psychose (1960)...). Le rôle principal est tenu par Margott Kider (qui deviendra célèbre en interprétant Loïs Lane dans Superman (1978) de Richard Donner ; on la voit aussi dans Amityville, la maison du diable (1979) de Stuart Rosenberg...). On recontre encore Jennifer Salt (Le mariage (1969) et Hi, mom ! (1970) de De Palma...) et William Finley (inoubliable dans Phantom of the Paradise (1974) de De Palma, Le crocodile de la mort (1976) de Tobe Hooper...).
Brian De Palma avant Soeurs de sang

La carrière de Brian De Palma avant Soeurs de sang est bien méconnue en France, où ils ont toujours été difficile à se procurer. Brian De Palma naît en 1940 dans l'état du New Jersey. Son père est un chirurgien. Brian poursuit de brillantes études de physiques, tout en s'intéressant au théâtre. Puis, il acquiert une caméra 16 mm et dirige plusieurs courts métrages : Icarus (1960), 660214, The Story Of An IBM Card (1961) (un peintre sacrifie sa vie au profit de son art...) et enfin Wotan's wake (1962) (un artiste fou s'éprend d'une de ses statues...), première collaboration avec l'acteur William Finley (Soeurs de sang, Phantom of the Paradise...), qui vaut à De Palma des récompenses et lui permet de commencer à tourner son premier long métrage : Le mariage (influencé par la cinéma de la Nouvelle Vague française, il raconte les évènements précédant la fête d'un mariage), dans lequel débute Robert De Niro (Taxi driver (1976)...). Mais le tournage et la production de ce film seront très chaotiques, et il ne sortira aux USA qu'à la fin des années 1960. De Palma aligne ensuite des travaux moins ambitieux : Jennifer (un court-métrage de fiction avec Jennifer Salt (Soeurs de sang...)), Mod (?) (un documentaire, resté inachevé, sur la musique rock anglaise des années 60), Bridge that gap (1965) (un documentaire tourné dans le Sud des Etats-Unis, commandé par une association anti-raciste), Show me a strong room and i'll show you a strong bank (1966) (un documentaire sur le système bancaire américain) et The responsive eye (1966) (encore un documentaire, consacré à une exposition du musée d'art moderne de la ville de New York).

Ensuite, De Palma s'oriente vers les longs métrages. Il commence avec Murder à la mod (1968) un thriller racontant comment un jeune réalisateur est entraîné dans une affaire de meurtres. Puis il tourne Greetings (1968), encore avec De Niro, une satire de la vie new yorkaise à la fin des années 1960, qui vaut à De Palma un ours d'argent à Berlin. Puis, il tourne un documentaire, Dyonisus in '69 (1970), consacré à une performance théâtrale, dans lequel il utilise le split-screen, procédé technique qui deviendra sa marque de fabrique au cours des années 1970. Après, vient, toujours en 1970, Hi, mom !, la séquelle de Greetings, encore une comédie, toujours avec De Niro, qui incarne ici un vétéran de la guerre de Vietnam obsédé par le voyeurisme. De Palma se rend à Hollywood, où il fait encore un film humoristique avec Get to know the rabbit (1972) (un homme d'affaires s'oriente vers une carrière de prestidigitateur), tourné dès 1970 et interprété, entre autres, par Orson Welles (Citizen Kane (1942)...). Mais c'est un échec, une très mauvaise expérience qui forcera De Palma à l'inactivité pour deux années. Enfin, il s'oriente vers le style de thriller sanglant qui va le rendre célèbre avec Soeurs de sang, son premier gros succès.

Soeurs de sang

Soeurs de sang est un thriller assez violent, lorgnant, notamment, dans sa dernière demi-heure, vers le cinéma d'épouvante. Le récit s'appuie sur le cas de deux sœurs siamoises, liées à la naissance par la hanche, et séparées ensuite par une opération (De Palma avait été très impressionné par un article publié dans Life en 1966 consacré à deux sœurs siamoises vivant en Russie). Le film traite donc de thèmes tels que les liens familiaux, la monstruosité et le principe du double. Notons au passage que le sujet des frères jumeaux et / ou siamois apparaît aussi chez des cinéastes contemporains de De Palma : on pense ainsi aux excellents Frères de sang (1982) de Frank Henenlotter ou Faux-semblants (1988) de David Cronenberg. De Palma lui même y reviendra avec le thriller, décevant, L'esprit de Caïn (1992).

Déjà, Soeurs de sang se présente comme un hommage appuyé au réalisateur d'origine britannique Alfred Hitchcock, auquel De Palma voue une très grande admiration. Par la violence et l'habileté de ses séquences de meurtres au couteau, et par son approche hystérique de la schizophrénie et du dédoublement de personnalité dans un cadre familial, ce film évoque directement Psychose. D'ailleurs, de la même manière que Hitchcock dans ce chef-d'oeuvre, De Palma fait mourir, de manière très inattendue, le personnage qu'on pensait être le héros du film dès le premier quart d'heure du métrage (procédé qu'il reprendra, de manière encore plus efficace, dans Pulsions (1980)).

Par un rebondissement assez malin, De Palma va nous faire passer de Psychose à un autre classique de Hitchcock : Fenêtre sur cour (1954) (un journaliste photographe, interprété par James Stewart, est cloué dans une chaise roulante par une jambe cassée ; il espionne ses voisins au téléobjectif, et soupçonne l'un d'eux d'avoir commis un meurtre). Dans Soeurs de sang, c'est aussi une journaliste qui assiste, de sa fenêtre, à un meurtre perpétré par une des sœurs Breton. Mais la police ne croit pas la reporter, et elle décide de mener sa propre enquête avec l'aide d'un détective privé. La structure du récit va alors rappeler fortement celle de Fenêtre sur cour, une paire de jumelles remplaçant ici l'appareil photo. Certaines séquences vont même jusqu'à paraphraser des scènes fameuses du film de Hitchcock (l'incursion du détective chez les Breton, surveillée du point de vue de la journaliste, rappelle la dangereuse expédition de Grace Kelly dans l'appartement du voisin). Cela permet à De Palma de jouer habilement sur des questions récurrentes de son travail : le voyeurisme et la manipulation. Soeurs de sang s'ouvre ainsi sur un jeu télévisée de type "caméra cachée", dans laquelle les voyeurs sont provoqués et observés à leur insu. Ce jeu du voyeur observé et manipulé, notamment à travers des méthodes technologiques modernes, comme les moniteurs de télévision, les microphones et les magnétoscopes, permet à De Palma de construire des récits riches en constructions narratives complexes et en séquences virtuoses multipliant les points de vue inattendus. On pense ainsi au circuit de caméras de surveillance dans Phantom of the Paradise, le preneur de son de Blow out (1981), le psychanalyste de Pulsions, l'appartement panoramique de Body double, la régie de Snake eyes (1998)...

Pourtant, dans sa conclusion, assez démente, Soeurs de sang s'oriente plutôt vers La maison du docteur Edwardes (1945), un autre classique de Hitchcock, se déroulant dans un asile psychiatrique et mettant en scène une histoires de schizophrénie et de complexe de culpabilité, basé sur la relation tragique entre un médecin et son jeune frère. Ce film était d'ailleurs agrémenté par une séquence de rêve hallucinatoire sur laquelle avait travaillé le peintre surréaliste Salvador Dali. De Palma propose donc, lui aussi, une séquence cauchemardesque perçue, au cours d'une éprouvante séance d'hypnose, par la journaliste. De Palma, utilisant un noir et blanc fantastique, des objectifs à très courte focale (déformants) et des effets de diaphragme se refermant, nous propose alors des visions clairement expressionnistes (le directeur d'asile porté sur l'hypnose et les malades mentaux errant dans la grande salle évoquent directement Le cabinet du docteur Caligari (1919) de Robert Wiene, chef-d'oeuvre de ce style de cinéma). Ces cauchemars hallucinatoires retracent, de manière assez excentrique, le drame des deux sœurs siamoises, et nous propose certains plans apparemment très influencés par La monstrueuse parade (1932) de Tod Browning, particulièrement avec le baiser donné à Danielle, tandis que sa soeur accrochée à elle par la hanche, se tient à ses côtés. Comme dans le chef-d'oeuvre de Browning, les personnages considérés comme monstrueux, sont condamnés à vivre dans la marginalité et la solitude, sous le regard méfiant des gens normaux. C'est cette condition tragique et pathétique du monstre qu'on retrouvera dans Carrie, et Furie (1978) (les deux films mettent en scène des jeunes gens doués de pouvoirs surnaturels) et, surtout, dans Phantom of the Paradise, adaptation fort réussie du roman de Gaston Leroux Le fantôme de l'opéra, liant l'oeuvre de De Palma aux classiques des films de monstres hollywoodiens de l'entre-deux guerres (Le fantôme de l'opéra (1925) avec Lon Chaney, La momie (1932) de Karl Freund...). Pourtant, De Palma rehausse, comme on l'a vu plus haut, la thématique de la monstruosité d'un certain goût pour la psychanalyse héritée de Hitchcock (La maison du docteur Edwardes, Sueurs froides...), ainsi que par une liberté de ton, en ce qui concerne la violence explicite et la description de la sexualité de ses personnages, qui n'aurait pas été envisageable dans le cinéma américain avant les années 1970. En plaçant l'horreur dans un cadre réaliste et en la conjuguant avec le thème de la sexualité féminine refoulée, De Palma se place aussi clairement dans la lignée de Polanski (Repulsion (1965), Rosemary's baby (1968)...).

Toutefois, Soeurs de sang est loin d'être l'oeuvre la plus réussie de son réalisateur. Après un début convaincant, le récit s'enlise dans une enquête qui, sans être vraiment ennuyeuse, est tout de même un peu banale. Les séquences de l'asile psychiatrique arrivent de manière assez peu naturelles dans le récit, bien qu'elles baignent, tout de même, dans une ambiance de folie assez prenante. De plus, à de rares exceptions près (le premier meurtre...), on ne trouve pas vraiment la virtuosité qui a fait la réputation de De Palma au cours des années 1970. Certes, on a déjà une séquence à suspens en split screen, mais elle est tout de même bien moins efficace et prenante que celles de Phantom of the Paradise (le final) ou Carrie (la séquence du bal)... La réalisation, encore un peu quelconque, nuit notamment, aux scènes de cauchemar, qui sentent parfois un peu trop le surréalisme des années 1930 réchauffé pour l'occasion.

Mais, bien que légèrement décevant de la part de De Palma, le récit policier se suit sans ennui, le suspens ménage suffisamment de surprises réussies et la réalisation connaît tout de même quelques moments de grâces, si bien que Soeurs de sang reste tout à fait regardable. Il est assez passionnant de voir ce réalisateur mettre ici en place son style formel très personnel et les thématiques qu'il développera ultérieurement dans son travail. Soeurs de sang connaîtra un assez gros succès, et permettra à Brian De Palma de réaliser ensuite son chef-d'oeuvre : Phantom of the Paradise.



P.S. : Le procédé du split screen consiste à présenter deux images séparées par une ligne dans un même cadrage, ce qui permet de suivre deux points de vue simultanées, sans avoir à recourir au montage traditionnel : ce procédé a été popularisé à la fin des années 1960 dans, notamment, L'étrangleur de Boston (1968) de Richard Fleischer ; néanmoins, on trouve des idées semblables très tôt, dès Napoléon (1927) du français Abel Gance par exemple , avec le défilé de l'armée française en Italie conçu pour être projeté sur 3 écrans juxtaposés ; ou aussi dans Docteur Jekyll et Mr. Hyde (1931) de Rouben Mamoulian...
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