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Lenore Davis accouche à l'hôpital d'un bébé monstrueux, qui tue les médecins et s'enfuit dans la nature. Le père, Frank Davis, est bien décidé à aider la police à abattre ce monstre...



Avant de tourner son premier film d'horreur Le monstre est vivant, Larry Cohen venait de mettre en scéne coup sur coup deux succès avec Le parrain de Harlem (1973) et sa suite Casse sur la ville (1973) : il s'agissait de deux oeuvres dites de "Blaxpoitation", c'est à dire mettant en scène des héros Noirs (cette vague avait été lancée avec Sweet sweetback Baadass song (1971) de Melvin Van Peebles et Les nuits rouges de Harlem (1971) de Gordon Park). Larry Cohen décide ensuite de réaliser ce film d'horreur, dont il écrit lui-même le scénario. Le rôle principal est tenu par John P. Ryan, un acteur plutôt habitué aux seconds rôles (The Missouri break (1976) d'Arthur Penn, Runaway train (1985) d'Andreï Mikhalov-Kontchalovski, dans lequel il est inoubliable...). Les effets spéciaux sont de Rick Baker, un jeune maquilleur qui venait de travailler sur les précédents films de Cohen et sur le James Bond Vivre et laisser mourir (1973) : il allait ensuite devenir une star des effets spéciaux (Le loup-garou de Londres (1981) de John Landis, Greystoke, la légende de Tarzan (1984) de Hugh Hudson, La planète des singes (2001) de Tim Burton...).
Tout au long de sa carrière, Larry Cohen a été considéré comme l'archétype du cinéaste américain indépendant. Ainsi, il est producteur et scénariste de presque toutes ses oeuvres, notamment avec sa compagnie Larco, depuis son premier long-métrage Bone (1972). Obsédé par la conservation de sa totale autonomie artistique, il préfère se contenter de budgets modestes et ne pas avoir à supporter les conseils et directives d'un grand studio qui le soutiendrait financièrement. C'est aussi, pour lui, une manière de garantir sa liberté d'expression politique : en effet, ses films, rattachés à des genres très codifiés, n'en contiennent pas moins des réflexions sociales fortes, des situations pessimistes et des remises en cause du mode de vie américain, qu'un réalisateur pris dans le système des majors hollywoodiennes aurait du mal à imposer. Ainsi, Bone est une comédie très sombre sur la désintégration d'un couple bourgeois ; The private files of Edgar J. Hoover (1976) raconte les manigances d'un directeur du FBI manipulant les hommes politiques ; Meurtres sous contrôles (1977) présente un extra-terrestre malveillant se faisant passer pour Dieu revenu sur Terre... Les scénarios que Cohen écrit pour les autres réalisateurs ont aussi des arrières-pensées politiques : Maniac cop (1988) de William Lustig, avec son assassin policier et ultra-violent ; Body snatchers (1993) d'Abel Ferrara, avec ses extra-terrestres conformistes, qui envahissent une base de l'armée américaine...

De même, Le monstre est vivant contient un message politique et social. Lenore Davis accouche d'un enfant hideux et dangereux, à cause de la consommation d'un médicament distribué par un grand laboratoire scientifique qui a contourné les contrôles officiels. Des savants vont donc tout faire pour que le bébé-monstre soit détruit, afin d'effacer les traces de leurs erreurs. Le titre anglais ("It's alive !" : "Il est vivant !") renvoie d'ailleurs au cri triomphal que pousse le baron Frankenstein lorsqu'il constate qu'il a réussi à donner vie à sa créature dans le mythique Frankenstein (1933) de James Whale. Certains dialogues de Le monstre est vivant film font aussi nettement référence à cette oeuvre. Larry Cohen met donc en garde contre les scientifiques apprenti-sorciers qui, alliés à la puissance économique des grands groupes industriels, peuvent influer gravement et impunément sur le devenir de l'humanité. Il s'inscrit donc dans la tradition, alors fort vivace, de la science-fiction politique et pessimiste d'œuvres comme La planète des singes (1968) de Franklin J. Shaffner et ses suites, Soleil vert (1973) de Richard Fleischer ou Rollerball (1975) de Norman Jewison... Son mélange d'horreur et de vie quotidienne contemporaine, ainsi que sa vision horrifique de la grossesse et des enfants, évoquent encore des gros succès récents du film d'épouvante, comme Rosemary's baby (1968) de Roman Polanski, dans lequel Mia Farrow accouche d'un enfant monstrueux, et L'exorciste (1973) de William Friedkin, avec sa petite possédée.

Mais le récit met aussi en scène des personnages émouvants. Le bébé, au début du métrage, paraît, au spectateur, comme à son père Frank Davis, un monstre répugnant qu'il faut abattre. Mais, à mesure que le film va progresser, les points de vue vont changer : Frank va prendre l'enfant en pitié, se réconcilier avec sa femme et son autre fils autour de ce nouveau-venu dans la famille. Certes, le bébé se comporte comme un être brutal : mais c'est surtout par peur et par ignorance qu'il agit ainsi. Dans les bras de son père ou de sa mère, il devient un enfant comme les autres, et, sans doute, à force de patience et de compréhension, il pourra grandir comme un être humain normal. Toutefois, la société a d'autres intérêts, et, suite au battage des médias et à la corruption des chercheurs et des policiers, le bébé va courir de graves dangers. Cette perception de ce monstre-enfant, à la fois horrible et touchant, dangereux et victime de la science, rappelle, encore une fois, la créature de Frankenstein.

Tourné, pour un budget limité, Le monstre est vivant va s'illustrer par la sobriété de sa réalisation. Celle-ci, précise et neutre, ne va jamais donner dans les travellings démonstratifs ou les effets de virtuosité. Pourtant, avec quelques astuces simples (objectif déformant dans les couloirs de l'hôpital, ou pour restituer en caméra subjective le point de vue particulier de la créature...), Larry Cohen parvient à rendre une atmosphère inquiétante, aidé aussi, il faut bien le dire, par une musique absolument génial de Bernard Herrmann (Psychose (1960) de Hitchcock...). Néanmoins, on peut regretter que la première moitié du métrage, à force de privilégier la froideur et la suggestion de l'horreur, soit un peu lente et ennuyeuse. Les effets spéciaux sont aussi légèrement inégaux : si le bébé est parfois très réussi (à la fin), d'autres plans, au début du métrage, sont nettement plus maladroits. Le monstre est vivant parvient à convaincre dans sa seconde partie, plus émouvante, notamment grâce à l'interprétation très touchante de John P. Ryan, et, aussi, grâce à son excellent final, avec ses poursuites inquiétantes dans les égouts et les no man's land industriel d'une grande ville américaine.

Ce film est donc une solide petite production, à la fois intelligente et attachante. Mêlant habilement horreur et science-fiction, elle annonce, entre autres, les premières oeuvres de David Cronenberg (Frissons (1975)...). Le monstre est vivant connaîtra un très gros succès commercial aux USA, alors qu'il avait coûté très peu d'argent. Larry Cohen lui donnera donc deux suites : Les monstres sont toujours vivants (1978) et La vengeance des monstres (1988). Juste après Le monstre est vivant, il réalisera un autre film d'horreur contestataire : Meurtres sous contrôle (1977).

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