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Oscar Wilde a-t-il squatté le Roi en Jaune ? (8)
L'étrange cas de Mr. Wilde (suite...)

« Vance, voici Mr. Castaigne, » déclara Mr Wilde. Avant qu’il eût terminé, l’homme se jeta au sol devant la table, en pleurant et hoquetant, « Oh ! Mon Dieu ! Oh ! Mon Dieu ! Aidez-moi ! Pardonnez-moi ! Oh Mr. Castaigne, éloignez cet homme. Vous ne pouvez pas, vous ne pouvez pas vouloir cela ! Vous êtes différent, sauvez-moi ! Je n’en peux plus… j’étais à l’asile et à présent… quand tout allait mieux… quand j’avais oublié le Roi… le Roi en Jaune et… mais je vais redevenir fou… je vais devenir fou ».
Sa voix s’étrangla soudain, car Mr. Wilde d’était rué sur lui et sa main droite serrait l’homme à la gorge. Quand Vance s’effondra comme un tas sur le sol, Mr Wilde grimpa prestement sur sa chaise à nouveau, et frottant ses oreilles abîmées de son moignon, se tourna vers moi en me demandant le registre. Je le trouvai au bas de son étagère et il l’ouvrit. Après un moment à parcourir les belles pages manuscrites, il toussota et pointa le nom de Vance.
«Vance », lut-il à haute voix, « Osgood Oswald Vance. ». Au son de sa voix, l’homme au sol leva la tête et tourna une face convulsée vers Mr. Wilde. Ses yeux étaient injectés de sang, ses lèvres tuméfiées. « Appelé le 28 Avril », continua Mr Wilde. « Profession, caissier de la Seaforth National Bank ; a purgé une peine pour faux et usage de faux à Sing-Sing, de là a été transféré à l’Asile Péniteniaire. Gracié par le Gouverneur de New-York, et libéré de l’Asile le 19 Janvier 1918. Réputation endommagée à Sheepshead Bay. Rumeurs qu’il vit au-delà de ses moyens. Réputation à réparer d’urgence. Acompte de 1 500 $. »
« Note : a détourné des sommes avoisinant 30 000 $ depuis le 20 Mars 1919, d’excellente famille, et position actuelle assurée par l’influence de son oncle. Père Président de la banque Seaforth. »
Je jetai un coup d’œil à l’homme au sol.
« Debout, Vance, » prononça gentiment Mr. Wilde. Vance se leva comme hypnotisé. « Il fera ce que nous lui dirons à présent », observa Mr Wilde, et, en ouvrant le manuscrit, je lus à haute voix l’histoire complète de la Dynastie Impériale d’Amérique. Alors dans un murmure poli et discret il révisa les passages important avec Vance, qui restait comme sonné. Ses yeux étaient si aveugles et distants que j’imaginai qu’il n’avait plus toute sa tête, et j’en fis la remarque à Mr Wilde qui répondit que cela n’avait plus d’importance. »
Il semblerait que Wilde ait établi un réseau entre les victimes de la pièce maudite, du moins est-ce exact pour Vance et Castaigne. Plus encore, après l’avoir visiblement tué brutalement, il a fait de Vance une marionnette, un zombi. Enfin, Wilde en sait résolument plus sur le mystère des Hyades que ceux qu’il avilit, ainsi que nous le constatons par la suite :
« Très patiemment, nous détaillâmes à Vance quelle serait sa part dans l’affaire, et il sembla comprendre après un moment. Mr. Wilde expliqua le manuscrit, de nombreux livres d’Héraldique à l’appui, pour substantifier le résultat de ses recherches. Il situa la fondation de la Dynastie à Carcosa, mentionna les lacs qui bordaient Hastur, Aldebaran et le mystère des Hyades. Il parla de Cassilda et de Camilla, et sonda les troubles profondeurs de Demhe, et le Lac de Hali. « Les guenilles du Roi en Jaune doivent cacher Yhtill à jamais, » marmonna-t-il, mais je ne crois pas que Vance l’entendisse. Alors par degré il déclina à Vance les ramifications de la famille Impériale, jusqu’à Uoth et Thale, depuis Naotalba et le Spectre de la Vérité, jusqu’à Aldones, alors faisant virevolter ses notes et manuscrits, il commença l’histoire merveilleuse du Dernier Roi. Fasciné et frissonnant je l’observai. Il relevait la tête, ses longs bras s’étiraient en une gestuelle de fierté et de pouvoir pleine de magnificence, et ses yeux luisaient dans ses orbites comme deux émeraudes. Vance écoutait stupéfié. Ainsi que moi, lorsque pour finir Mr Wilde, me pointant du doigt, cria « Le cousin du Roi ! », j’étais emporté par l’excitation.
Me contrôlant par un effort surhumain, j’expliquai à Vance pourquoi j’étais seul digne de la couronne et pourquoi mon cousin devait s’exiler ou mourir. Je lui fis comprendre que mon cousin ne devait jamais se marier, même après avoir abdiqué, et comment il s’apprêtait pour le pire à épouser la fille du Marquis d’Avonshire et amener l’Angleterre sur la question. Je lui montrais la liste de milliers de noms que Mr. Wilde avait dressé ; chacun des nominés avait reçu le Signe Jaune qu’aucun être humain n’osait mépriser. La ville, l’état, le monde entier était prêt à se soulever et trembler devant le Masque Blême.
Le temps était venu, les gens connaîtraient le fils d’Hastur, et le monde entier saluerait les Etoiles Noires qui recouvraient le ciel de Carcosa. » (Le réparateur de réputations.
traduction originale).
Pour finir, le plan de Wilde consiste à faire tuer la fiancée de Louis de Castaigne, cousin de Hildred, par Vance. Mais ce dernier échoue et se suicide (3) et Hildred égorge Wilde durant une crise hallucinatoire, avant d’être arrêté, interné, puis décédé.


(3) : L’anticipation de Chambers des années 1910 - 1920 inclut un Centre de Destruction municipal, la Chambre Léthale, où est pratiquée l’euthanasie. Une statue de Boris Yvrain, le rival du narrateur du Masque, orne le square alentours. Ce sculpteur possédait de quoi pétrifier n'importe quel organisme vivant...

Oscar WILDE a-t-il écrit « Le Roi en Jaune » ? 7
Autopsie du Roi en Jaune :
e) L’étrange cas de Mr. Wilde – réparateur de réputations.

Dans « Le réparateur de réputations », nouvelle qui touche au plus près les Mystères du Roi en Jaune, Hildred de Castaigne rend plusieurs visites à Mr. Wilde. Le portrait en est ainsi fait :
« Quand il eut fermé la porte à double tour et l’eut barricadée d’un lourd coffre, il vint s’asseoir à mes côtés, me dévisageant de ses petits yeux allumés. Une demie douzaine de nouvelles égratignures recouvrait son nez et ses joues, et le serre-tête en argent qui supportait ses oreilles artificielles était de travers. Je pensai qu’il ne m’avait jamais aussi hideusement fasciné. Il n’avait pas d’oreilles. Les fausses, qui à présent formaient un angle des plus singuliers, étaient sa seule faiblesse. Elles étaient faites de cire et peintes en rose nacré, mais le reste de son visage était jaune. Il eût mieux fait de s’accorder le luxe de doigts artificiels pour sa main gauche, un moignon absolu, mais cela ne semblait pas l’incommoder, et il était satisfait de ses oreilles de cire. Il était très petit, à peine plus grand qu’un enfant de dix ans, mais ses bras étaient magnifiquement développés et sa taille aussi fine que celle d’un athlète. Toutefois, la chose la plus remarquable au sujet de Mr. Wilde était qu’un homme d’esprit aussi brillant et érudit ait une telle tête. Elle était plate et pointue, comme celles de bien des infortunés qui peuplent prisons et asiles psychiatriques. Beaucoup le jugeait d’ailleurs fou, mais je le savais aussi sain d’esprit que moi. » (« Le réparateur de réputations » traduction originale).



Au regard de la thématique du masque blême, l’on est en droit de se demander la véritable nature de Wilde. (1) Toutefois, le lecteur n’en apprendra pas plus. L’étrangeté de l’individu posée, c’est l’intérêt de Castaigne pour une telle fréquentation qui est dès lors exposé.

« Où sont les notes ? » demandai-je. Il désigna la table, et pour la centième fois je ramassai la liasse de feuilles manuscrites intitulées :« La dynastie impériale d’Amérique ».
Une par une j’étudiais ces pages, froissées par mes seules manipulations, et bien que j’en connaissais le contenu par cœur, du début, « Quand, de Carcosa, des Hyades et d’Aldébaran », à « Castaigne, Louis de Calvados, né le 19 Décembre 1877 », je lus tout cela avec une extrême attention, m’arrêtant pour en reprendre des passages à haute voix, et m’attardant tout particulièrement sur « Hildred de Calvados, prétendant au trône », etc., etc. » (Le réparateur de réputation, traduction originale).
Inutile de préciser qu’à ce moment du récit, la folie de Hildred de Castaigne ne fait plus de doute pour le lecteur, ainsi que ses motivations homicides envers son cousin Louis. Mais de quelle nature est cette « Dynastie impériale d’Amérique », qui tisse sa toile depuis les confins (« bierciens ») d’Aldébaran, à Carcosa même ? Ne serait-ce pas une construction hallucinatoire de l’esprit malade de Hildred, corrompu par la lecture du « Roi en jaune » ? Cette illusoire destinée impériale est toutefois partagée, attisée, par Mr. Wilde, véritable agent d’une déstabilisation massive de l’espèce humaine, comme le démontre l’extrait suivant :
« Nous sommes maintenant en contact avec dix mille hommes », marmonna (Wilde). « Nous pouvons compter sur cent mille dès les trente-huit premières heures, et en quatre-vingts heures, l’état se soulèvera en masse. Le pays suivra l’état, et la partie qui ne le fera pas, je veux parler de la Californie et du Nord-Ouest, ferait mieux de n’avoir jamais été habitée. Je ne leur enverrai pas le Signe Jaune. »
Le sang me montait à la tête, mais je ne fis que répondre « Un bon coup de purge ».
(2)
« L’ambition de César et celle de Napoléon pâlissent devant ce qui n’aura de repos avant de s’être emparé de la pensée humaine et contrôlera même ses rêves les plus inavoués. » déclara Mr Wilde.
« Vous voulez parler du Roi en Jaune, » frissonnai-je.
« C’est un roi que bien des Empereurs ont servi ».
« Je suis heureux de le servir » répliquai-je. » (Le réparateur de réputation.
traduction originale).
Il s’agit donc pour Castaigne de récupérer un trône oublié par l’espèce humaine, au nom d’un Roi des rois de jaune vêtu. On pense à un coup d’état, comme Lovecraft put penser au Retour d’un Grand Ancien extraterrestre. Et pour reprendre cette supposition que le Signe jaune pourrait être monétaire, on pourrait imaginer une guerre économique, un crack boursier. Chambers écrivait ces lignes en 1895, et bien que situant audacieusement l’action en 1920, il ne fait pas office de génial visionnaire de la crise de 1929. Et ce n’est pas là son propos, car nous apprendrons dans la dernière partie du récit, l’action véritable de Wilde, qui n’a d’envergure que celle du corbeau – j’entends ici « maître-chanteur » - tandis que nous le voyions à l’office avec un autre de ses « clients », nommé Vance.

(1) : Et l’on se souviendra avec effroi du sort d’Henry Wentworth Akeley dans « Celui qui chuchotait dans les ténèbres » pour ne pas vouloir sonder d’avantage le taux d’humanité de l’usurpateur.

(2) : L’expression utilisée dans la version originale, « A new broom sweeps clean » a aussi été traduite en « On ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs » (Anne Vétillard, in Le Cycle d’Hastur) et en « Il n’est ferveur que de novice » (Jacqueline Fuller in Le roi de jaune vêtu).


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